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année 1772.

Quand on vous dit que la gelée élève hors de terre des maisons, on aurait dû ajouter que cela arrive à des baraques de bois, mais jamais à des maisons de pierre solides. Il est vrai que des murs de jardin minces, et dont les fondements sont mal assis, ont été tirés de terre peu à peu et renversés par la gelée. Les pilotis encore, que la glace peut accrocher, se soulèvent à la longue.

Si les Turcs continuent à suivre les bons conseils de leurs soi-disant amis, vous pouvez être sûr que vos souhaits de nous voir sur le Bosphore seront bien près de leur accomplissement, et cela viendra peut-être fort à propos pour contribuer à votre convalescence : car j’espère que vous vous êtes défait de cette fièvre continue que vous m’annoncez, et dont jamais je ne me serais doutée en voyant la gaieté qui règne dans vos lettres.

Je lis présentement les œuvres d’Algarotti. Il prétend que tous les arts et toutes les sciences sont nés en Grèce. Dites-moi, je vous prie, cela est-il bien vrai ? Pour de l’esprit, ils en ont encore, et du plus délié ; mais ils sont si abattus qu’il n’y a plus de nerf chez eux. Cependant à la longue je commence à croire qu’on pourrait les aguerrir, témoin cette nouvelle victoire de Patras remportée sur les Turcs après la fin du second armistice. Le comte Alexis me marque qu’il y en a eu qui se sont admirablement bien comportés.

Il y a eu aussi quelque chose de pareil sur les côtes d’Égypte, dont je n’ai point encore les détails ; et c’était encore un capitaine grec qui commandait. Votre baron Pellenberg est à l’armée. M. Polianski est secrétaire de l’Académie des beaux-arts. Il n’est pas noyé, quoiqu’il passe souvent la Néva en carrosse ; mais chez nous il n’y a pas de danger à cela en hiver.

J’ai reçu de M. d’Alembert une seconde et troisième lettre sur le même sujet ; l’éloquence n’y est pas épargnée : il a pris à tâche de me persuader de relâcher ses compatriotes ; mais n’y a-t-il de l’humanité que pour nos compatriotes ? Que ne plaide-t-il pour les prisonniers turcs et polonais, dupes et victimes des premiers ; ces gens-là sont plus malheureux que ceux-ci. Il est vrai que les vôtres ne sont pas à Paris ; mais aussi pourquoi l’ont-ils quitté ? Personne ne les y a obligés. J’ai envie de répondre que j’en ai besoin pour introduire les belles manières dans mes provinces.

Je suis bien aise d’apprendre que mes deux comédies ne vous ont pas paru tout à fait mauvaises. J’attends avec impatience le nouvel écrit que vous me promettez[1] ; mais j’en ai encore plus de vous voir rétabli.

Soyez assuré, monsieur, de mon extrême sensibilité pour tout ce que vous me dites d’obligeant et de flatteur. Je fais des vœux sincères pour votre conservation, et suis toujours avec l’amitié et tous les sentiments que vous me connaissez.

Catherine.
  1. Lettre 8770.