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année 1772.

mais non pas ce qui existe ; enfin ce que l’on se promet du fruit de ses tracasseries, ce qui peut-être était possible autrefois, mais à quoi l’on ne doit s’attendre aucunement en Russie de la sagesse du gouvernement actuel.

Eh bien ! je vous ai rogné quelques années[1], et je ne m’en dédis pas : vos ouvrages ont trop de fraîcheur pour être d’un vieillard. Vous m’enverriez votre extrait baptistaire, que je n’en croirais pas davantage à votre curé.


On juge mal, on est déçu,
En se fiant à l’apparence :
Je suis très-sûr et convaincu
Que Voltaire en secret a bu
De la fontaine de Jouvence.
Jamais aucun héros n’approcha de son sort :
Immortel par sa vie, ainsi qu’après sa mort.


C’est cette première immortalité qui me touche le plus. Je suis intéressé à votre conservation ; l’autre vous est sûre. Souvenez-vous de la maxime de l’empereur Auguste : Festina lente. Ce sont les vœux que le philosophe de Sans-Souci fait pour le patriarche de Ferney, en attendant les Lois de Minos.

Fédéric.
8779. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET[2].
1er mars.

J’ai reçu, monsieur, un petit ouvrage d’or[3] à mon vingt-deuxième accès de fièvre ; je l’ai lu tout de suite. Je ne suis pas guéri ; mais je suis en vie, et je crois que c’est à vous que je le dois.

Cet ouvrage est un monument bien précieux ; vous paraissez partout le maître de ceux dont vous parlez, mais un maître doux et modeste ; c’est un roi qui fait l’histoire de ses sujets. Je parle des Français, car pour Huygens et Roëmer, je les mets à part. Je n’ose vous remercier, parce que je n’ose me reconnaître dans un de vos portraits.

Si vous voyez M. de La Lande, je vous supplie de lui dire que mon triste état m’a empêché jusqu’à présent de lui faire réponse sur Coge pecus, mais que, si j’en réchappe, il aura bientôt de mes nouvelles[4].

Il est bien étrange que je sois obligé, la mort sur les lèvres,

  1. Voyez lettres 8736 et 8747.
  2. Œuvres de Condorcet, tome Ier ; Paris, 1847.
  3. Éloge des académiciens morts avant 1699.
  4. Voyez, tome XXIX, page 47, la Lettre sur la prétendue comète.