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année 1772.

le lieutenant de police, le vol aurait été découvert et puni[1]. D’ailleurs je pense encore qu’il vous est fort aisé de savoir à qui vous avez donné la pièce telle qu’elle est imprimée, et en quelles mains elle est restée. C’est un bonheur, après tout, qu’on m’ait mis à portée de désavouer cet ouvrage, et de crier à la falsification. Vous me faisiez beaucoup d’honneur de joindre vos vers aux miens ; mais, en vérité, vous deviez m’en avertir. L’art des vers est plus difficile qu’on ne pense. Je sais bien que le cinquième acte est le plus faible, et, après le quatrième, je ne pouvais pas aller plus loin ; mais du moins il ne faut pas finir, comme je vous l’ai dit, par des compliments qui ne signifient rien.


Après avoir détruit tes funestes erreurs[2].


Vous sentez combien le mot d’erreurs est faible et mal placé quand il s’agit de sacrifices de sang humain, d’une faction barbare, et d’une bataille meurtrière. Ajoutez que l’épithète funeste n’est qu’une épithète, et par conséquent qu’une cheville.


Ta clémence, grand prince, a subjugué nos cœurs.


Ce n’est sûrement pas la clémence qui a gagné Datame. Le roi est venu lui-même le tirer de prison, lui donner des armes, le faire combattre avec lui : ce n’est pas là de la clémence ; c’est tout ce que pourrait dire un courtisan rebelle à qui on aurait pardonné, et le mot de grand prince, suivi de grand homme et de grand roi, est, comme vous le voyez, bien insupportable.


Je ne méritais pas le trône où tu m’appelle.


Il faut une s à appelle, grâce aux lois sévères de notre poésie, qui ne permet plus la plus légère licence en fait de langue. On retranchait quelquefois cette s du temps de Voiture ; mais aujourd’hui c’est un solécisme.


Mais j’adore Astérie, il me rend digne d’elle.


C’est ce qu’on pourrait dire dans des lettres patentes du roi ; mais vous voyez combien il est au-dessous du caractère de Da-

  1. Voyez la lettre à d’Argental du 25 février 1774.
  2. Voyez tome VII, page 236.