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CORRESPONDANCE.

chagrin m’empêchera de revoir jamais Paris. Je ne saurais souffrir les tracasseries et les factions, aussi ridicules qu’acharnées, qui règnent dans cette Babylone où tout le monde parle sans s’entendre. Je m’en tiens à mes Alpes et à votre souvenir. Je vous souhaite toute la santé, tous les amusements, toute la bonne compagnie, tous les bons soupers qu’on peut mettre à la place de deux yeux qui vous manquent.

Voici le temps où je vais perdre les miens, dès que les neiges arrivent ; et cependant je ne cherche point à revenir à Paris, parce que j’aime mieux souffrir chez moi que d’essuyer des tracasseries dans votre grande ville. Il est vrai que les hommes ne se mangent pas les uns les autres dans Paris comme dans la Nouvelle-Zélande, qui est habitée par des anthropophages dans huit cent lieues de circonférence ; mais on se mange dans Paris le blanc des yeux fort mal à propos. On dit même quelquefois que le ministère nous mange et nous gruge ; mais je n’en veux rien croire.

Adieu, madame ; vivons l’un et l’autre le moins malheureusement que nous pourrons : c’est toujours là mon refrain, car, puisque nous ne nous tuons pas, il est clair que nous aimons la vie.

Je vous aime, madame ; je vous aimerai toujours, je vous serai inviolablement attaché, aussi bien qu’à votre grand’maman[1] ; mais de quoi cela servira-t-il ?

8641. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
4 octobre.

Mon cher ange, je suis bien malingre ; cependant je vous écris de ma très-faible main. Dès que je reçus votre lettre et celle pour Lekain, je lui envoyai sur-le-champ votre dépêche à Lyon ; je lui écrivis : Partez dans l’instant[2].

Le lendemain, je reçus les lettres de M. le maréchal de Richelieu et de M. le duc de Duras. J’envoyai à Lekain la lettre de M. le duc de Duras, et je réitérai mes instances. Il doit être parti aujourd’hui, 4 d’octobre, s’il est sage et honnête, comme je crois qu’il l’est.

M. le maréchal de Richelieu me mande qu’il le fera mettre

  1. Mme de Choiseul.
  2. Voyez lettre 8612.