Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8612

8612. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 28 auguste.

Madame, pardon ; mais, non-seulement Votre Majesté impériale me protège, elle m’instruit ; elle a bien voulu me défaire de quelques erreurs françaises sur la Sibérie ; elle me permet les questions.

Je prends donc la liberté de lui demander s’il est vrai qu’il y ait en Sibérie une espèce de héron tout blanc, avec les ailes et la queue couleur de feu, et surtout s’il est vrai que, par la paix du Pruth, Pierre le Grand se soit obligé à envoyer tous les ans un de ces oiseaux avec un collier de diamants à la Porte Ottomane. Nos livres disent que cet oiseau s’appelle chez vous kratsshot, et chez les Turcs, chungar.

Je doute fort, madame, que Votre Majesté impériale paye désormais un tribut de chungar et de diamants au seigneur Moustapha. Les gazettes disent qu’elle achète un diamant[1] d’environ trois millions à Amsterdam ; j’espère que Moustapha payera ce brillant en signant le traité de paix, s’il sait écrire.

Votre extrême indulgence m’a accoutumé à la hardiesse de questionner une impératrice : cela n’est pas ordinaire ; mais, en vérité, il n’y a rien de si extraordinaire dans le monde entier que Votre Majesté, aux pieds de laquelle se met, avec le plus profond respect,

Le Vieux Malade de Ferney.

  1. Il y eut de grandes négociations pour ce diamant (voyez les Mémoires de la margrave d’Anspach, tome 1er, pages 142-145), qui fut acquis moyennant quatre cent cinquante mille roubles et des lettres de noblesse.