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CORRESPONDANCE.

M. d’Hannetaire[1], homme de lettres et de mérite, retiré depuis longtemps à Bruxelles, se plaint à moi, par sa lettre du 6 juin, qu’on ait imprimé sous mon nom[2] une épître en vers qu’il revendique. Elle commence ainsi :


En vain en quittant ton séjour,
Cher ami, j’abjurai la rime ;
La même ardeur encor m’anime,
Et semble augmenter chaque jour.


Il est juste que je lui rende son bien, dont il doit être jaloux. Je ne puis choisir de dépôt plus convenable que celui du Mercure, pour y consigner ma déclaration authentique que je n’ai nulle part à cette pièce ingénieuse, qu’on m’a fait trop d’honneur, et que je n’ai jamais vu ni cet ouvrage, ni M. de M… auquel il est adressé, ni le recueil où il est imprimé. Je ne veux point être plagiaire, comme on le dit dans l’Année littéraire. C’est ainsi que je restituai fidèlement, dans les journaux, des vers d’un tendre amant pour une belle actrice de Marseille[3]. Je protestai, avec candeur, que je n’avais jamais eu les faveurs de cette héroïne. Voilà comme à la longue la vérité triomphe de tout. Il y a cinquante ans que les libraires ceignent tous les jours ma tête de lauriers qui ne m’appartiennent point. Je les restitue à leurs propriétaires dès que j’en suis informé.

Il est vrai que ces grands honneurs, que les libraires et les curieux nous font quelquefois, à vous et à moi, ont leurs petits inconvénients. Il n’y a pas longtemps qu’un homme qui prend le titre d’avocat, et qui divertit le barreau, eut la bonté de faire mon testament et de l’imprimer. Plusieurs personnes, dans nos provinces et dans les pays étrangers, crurent en effet que cette belle pièce était de moi ; mais comme je me suis toujours déclaré contre les testaments attribués aux cardinaux de Richelieu, de Mazarin et d’Albéroni, contre ceux qui ont couru sous les noms des ministres d’État Louvois et Colbert, et du maréchal de Belle-Isle, il est bien juste que je m’élève aussi contre le mien, quoique je sois fort loin d’être ministre. Je restitue donc à M. Marchand, avocat en parlement, mes dernières volontés,


  1. Jean-Nicolas Servandoni d’Hannetaire, né en 1719, mort en 1780, auteur et acteur.
  2. Dans le tome VIII de l’Évangile du jour, page 55, l’épître que réclame d’Hannetaire est imprimée sans nom d’auteur, mais presque toutes les pièces qui composent ce volume sont de Voltaire.
  3. Voyez lettre 7726.