Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
461
année 1769.

les Turcs avaient envoyé au mois de juin des bâtiments avec des troupes pour faire une descente sur cette côte ; ces vaisseaux relâchèrent en Crimée, à Kafa, et là les troupes se révoltèrent contre leur pacha, le tuèrent, de même que les commissaires des vivres, se jetèrent dans les barques, et s’en allèrent Dieu sait où. Si mes ennemis ont eu de grands desseins, je les en félicite ; mais il se pourrait qu’ils ont compté sans leur hôte. J’aurais vécu cent ans en paix, et je n’aurais jamais commencé la guerre ; mais puisque je suis obligée de la faire, grâce au soin de mes ennemis et de mes envieux, je ne négligerai assurément rien pour m’en bien tirer. Les farces italiennes pour la plupart finissent par des coups ; celles des Turcs en croisades avec le nonce et ses adhérents pourraient bien finir de même.

Il n’y a rien de plus flatteur pour moi que le voyage que vous voulez entreprendre pour me venir trouver ; mais, monsieur, je répondrais mal à l’amitié que vous me témoignez si je n’oubliais en ce moment la satisfaction personnelle que j’aurais à vous voir pour ne m’occuper que de l’inquiétude que je ressens en pensant à ce voyage si long et si pénible auquel vous voulez vous exposer. Votre santé d’ailleurs délicate, j’admire votre courage ; mais je serais inconsolable si votre santé, par malheur, était affaiblie par ce voyage ; et ni moi, ni toute l’Europe, ne me le pardonnerions. Si jamais l’on faisait usage de l’épitaphe qu’il vous a plu de composer,[1] la terre entière me reprocherait ma complaisance. Outre cela, monsieur, je suis obligée de vous avouer que, si les choses restent dans l’état où elles sont, il se pourrait aisément que le bien de mes affaires m’obligeât d’aller dans les provinces méridionales de mon empire, ce qui doublerait votre chemin ; ainsi, monsieur, je ne saurais vous dire au juste où je serai.

7676. — À M. DE CHABANON.
27 septembre.

Je n’ai l’honneur, mon cher confrère, d’être en aucune relation avec M. le duc de Nivernais, malgré la belle réputation que j’ai sur son compte. Il m’a un jour refusé tout net d’interposer son autorité pour une affaire de bibus au collège des Quatre-Nations, quoi qu’il soit aux droits du fondateur. Depuis ce temps-là, je me suis contenté de le respecter et de l’aimer, sans lui rien demander. M. et Mme d’Argental sont très en état d’appuyer votre demande, quoique vous n’ayez nul besoin d’appui. Je vais leur écrire, non pas pour me donner les airs d’animer leur zèle en votre faveur, mais pour les remercier, et pour prendre sur moi tous les bons offices qu’ils vous rendront. Je ne sais ce que fait La Borde ; je n’entends plus parler de lui : je crois qu’il oublie totalement la musique en faveur de la danse. Les jeunes gens

  1. Voyez la fin de la lettre 7653.