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ANNÉE 1769.

ajouté à son ouvrage, et j’ai été assez content de ce qu’il a fait de nouveau ; mais tous ses soins et toute sa sagesse ne désarmeront probablement pas les prêtres de Pluton. On était prés de jouer cette pièce à Lyon ; la seule crainte de l’archevêque[1], qui n’est pourtant qu’un prêtre de Vénus, a rendu les empressements des comédiens inutiles.

L’intendant[2] veut la faire jouer à sa campagne ; je ne sais pas encore ce qui en arrivera. Il se trouve, par une fatalité singulière, que ce n’est pas la prêtraille que nous avons à combattre dans cette occasion, mais les ennemis de cette prêtraille, qui craignent de trop offenser leurs ennemis.

J’ai écrit à M. le maréchal de Richelieu[3] pour le prier de faire mettre les Scythes sur la liste de Fontainebleau. Les Scythes ne valent pas les Guèbres, il s’en faut beaucoup ; mais, tels qu’ils sont, ils pourront être utiles à Lekain, et lui fournir trois ou quatre représentations à Paris.

Je me flatte que la rage de m’attribuer ce que je n’ai pas fait est un peu diminuée.

Je ne me mêle point de l’affaire de Martin[4] : elle n’est que trop vraie, quoi qu’on dise mon gros petit neveu, qui a compulsé les registres de la Tournelle de cette année, au lieu de ceux de 1767 ; mais j’ai bien assez des Sirven sans me mêler des Martin. Je ne peux pas être le don Quichotte de tous les roués et de tous les pendus. Je ne vois de tous côtés que les injustices les plus barbares. Lally et son bâillon, Sirven, Calas, Martin, le chevalier de La barre, se présentent quelquefois à moi dans mes rêves. On croit que notre siècle n’est que ridicule, il est horrible. La nation passe un peu pour être une jolie troupe de singes ; mais, parmi ces singes, il y a des tigres, et il y en a toujours eu. J’ai toujours la fièvre le 24 du mois d’auguste, que les barbares Welches nomment août : vous savez que c’est le jour de la Saint-Barthélémy ; mais je tombe en défaillance le 14 de mai, où l’esprit de la Ligue catholique, qui dominait encore dans la moitié de la France, assassina Henri IV par les mains d’un révérend père feuillant. Cependant les Français dansent comme si de rien n’était.

  1. Montazet : voyez tome VI, page 485.
  2. L’intendant de Lyon était Jacques de Flesselles, qui devenu prévôt des marchands de la ville de Paris, fut tué le 12 juillet 1789, au bas de l’escalier de l’Hôtel de Ville ; il était âgé d’environ soixante ans.
  3. Lettre 7646.
  4. Voyez lettre 7656