Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avons bloqué Genève de façon que cette ville est dans la plus grande abondance, et nous dans la plus effroyable disette. Pour moi, quoique je n’aie plus de dents, je me rendrai à discrétion à quiconque voudra me fournir des poulardes. J’ai fait bâtir un assez joli château, et je compte y mettre le feu incessamment pour me chauffer. J’ajoute à tous les avantages dont je jouis que je suis borgne et presque aveugle, grâce à mes montagnes de neige et de glace. Promenez-vous, madame, sous des berceaux d’oliviers et d’orangers, et je pardonnerai tout à la nature.

Je ne suis point étonné que M. de Sudre[1] ne soit pas premier capitoul, car c’est lui qui mérite le mieux cette place. Je vous remercie de votre bonne volonté pour lui. Permettez-moi de présenter mon respect à M. le prince de Beauvau et à Mme la princesse de Beauvau, et agréez celui que je vous ai voué pour le peu de temps que j’ai à vivre.

Je ne sais sur quel horizon est actuellement M. le chevalier de Boufflers ; mais, quelque part où il soit, il n’y aura jamais rien de plus singulier ni de plus aimable que lui.


6690. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[2].
25 janvier, partira le 26.

Je reçus hier, mes divins anges, une lettre de M. de Chauvelin, qui est de votre avis sur les longueurs de la scène d’Obéide avec son père, au cinquième acte. J’étais bien de cet avis aussi, et au lieu de retrancher dix à douze vers, comme je l’avais promis à M. de Thibouville, j’en aurais retranché vingt-quatre. Nous répétâmes la pièce ; le cinquième acte nous fit un très-grand effet, au moyen de quelques corrections que vous verrez dans les deux copies que je vous envoie.

L’état où je suis ne me permet pas de songer davantage à cette pièce : la voilà entre vos mains ; il y a un terme où il faut enfin s’arrêter. Voyez si en effet les comédiens seront en état de vous en amuser pendant le carême ; pour moi, je suis assez malheureux dans ma Scythie pour que vous me pardonniez de m’occuper un peu moins de la Scythie, d’Obéide et d’indatire.

Parmi les malheurs imprévus qui me sont survenus du côté de Genève et de celui du Wurtemberg, ce n’en est pas un médiocre pour moi que l’aventure de la Doiret. On me mande

  1. Voyez lettre 6608.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.