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ANNÉE 1767

moi votre foi par vos œuvres[1] ; on écrit, quand on aime. Cela est vrai ; mais, pour écrire des choses agréables, il faut que l’âme et le corps soient à leur aise, et j’en ai été bien loin. Vous me mandez que vous vous ennuyez, et moi je vous réponds que j’enrage. Voilà les deux pivots de la vie, de l’insipidité ou du trouble.

Quand je vous dis que j’enrage, c’est un peu exagérer : cela veut dire seulement que j’ai de quoi enrager. Les troubles de Genève ont dérangé tous mes plans ; j’ai été exposé, pendant quelque temps, à la famine ; il ne m’a manqué que la peste ; mais les fluxions sur les yeux m’en ont tenu lieu. Je me dépique actuellement en jouant la comédie. Je joue assez bien le rôle de vieillard, et cela d’après nature, et je dicte ma lettre en essayant mon habit de théâtre.

Vous vous êtes fait lire sans doute le quinzième chapitre de Bélisaire ; c’est le meilleur de tout l’ouvrage, ou je m’y connais bien mal. Mais n’avez-vous pas été étonnée de la décision de la Sorbonne, qui condamne cette proposition[2] : « La vérité luit de sa propre lumière, et on n’éclaire point les hommes par les flammes des bûchers ? » Si la Sorbonne a raison, les bourreaux seront donc les seuls apôtres.

Je ne conçois pas comment on peut hasarder quelque chose d’aussi sot et d’aussi abominable. Je ne sais comment il arrive que les compagnies disent et font de plus énormes sottises que les particuliers : c’est peut-être parce qu’un particulier a tout à craindre, et que les compagnies ne craignent rien. Chaque membre rejette le blâme sur son confrère.

À propos de sottises, je vous ferai présenter très-humblement de ma part ma sottise des Scythes, dont on fait une nouvelle édition, et je vous prierai d’en juger, pourvu que vous vous la fassiez lire par quelqu’un qui sache lire des vers ; c’est un talent aussi rare que celui d’en faire de bons.

De toutes les sottises énormes que j’ai vues dans ma vie, je n’en connais point de plus grande que celle des jésuites. Ils passaient pour de fins politiques, et ils ont trouvé le secret de se faire chasser déjà de trois royaumes[3], en attendant mieux. Vous voyez qu’ils étaient bien loin de mériter leur réputation.

Il y a une femme qui s’en fait une bien grande : c’est la Sémiramis du Nord, qui fait marcher cinquante mille hommes en

  1. Épître de saint Jacques, ii, 18.
  2. Voyez lettre 6886.
  3. Portugal, France et Espagne.