Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6886

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 265).
6886. — À M. MARMONTEL.
16 mai.

Comment, mon cher confrère, toute l’Académie française ne se récrie-t-elle pas contre l’insolente et ridicule absurdité des chats fourrés qui osent condamner cette proposition[1] : « La vérité luit par sa propre lumière, et on n’éclaire pas les esprits à la lueur des bûchers » ? C’est dire évidemment que les flammes des seuls bûchers peuvent éclairer les hommes, et que les bourreaux sont les seuls apôtres. Ce sera bien alors que, suivant Jean-Jacques, il faudra que les jeunes princes épousent les filles des bourreaux ; et vous êtes trop heureux, après tout, que ces polissons aient dit une si horrible sottise. Il est bon d’avoir affaire à de si sots ennemis.

Pourquoi ne m’avez-vous pas envoyé sur-le-champ toutes les bêtises qu’on a écrites contre votre excellent ouvrage ? Vous avez raison de ne point répondre, de ne vous point compromettre ; mais il y a des théologiens qui prendront votre parti sérieusement et vigoureusement. Il ne s’agit plus ici de plaisanter, il faut écraser ces sots monstres. Celui qui s’en chargera déclarera qu’il ne vous a pas consulté, qu’il ne vous connaît point, qu’il ne connaît que votre livre, et qu’il écrit au nom de la nation contre les ennemis de toute nation.

N. B. Si vous avez lu le livre de la Tolérance, il y a deux pages entières de citations des Pères de l’Église contre la proposition diabolique des chats fourrés.

On vous embrasse le plus tendrement du monde.

  1. C’est la trente-quatrième des propositions condamnées par la Sorbonne.