Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

code, le criminel est oublié. Le meilleur usage établi en Prusse, comme dans toute l’Allemagne et en Angleterre, est qu’on n’exécute personne sans la permission expresse du souverain. Cette coutume était établie en France autrefois. On est un peu trop expéditif chez vous : on y roue les gens de broc en bouche, avant que le voisinage même en soit informé ; et les cas les plus graciables échappent à l’humanité du souverain.

J’ai écrit en Suisse, selon vos ordres. Je ne peux mieux faire que de vous envoyer la réponse de M. de Correvon, magistrat de Lausanne ; mais vous trouverez sûrement plus de lumière en vous que dans les jurisconsultes étrangers.

À l’égard des Sirven, M. de Lavaysse me mande que l’ordonnance du parlement de Toulouse, portant permission à un juge subalterne d’effigier son prochain, n’est point regardée comme une confirmation de sentence. Voilà, je vous l’avoue, une singulière logomachie. Quoi ! la permission de déshonorer un homme, et de confisquer son bien, n’est pas un jugement ! Le parlement donne donc cette licence au hasard ! Ou la sentence lui paraît juste, ou inique. Il en ordonne l’exécution, il confirme donc la justice ou l’iniquité. Il ne peut ordonner cette exécution qu’en connaissance de cause. De bonne foi, est-ce une simple affaire de style d’ordonner la ruine et la honte d’une famille ? Voilà un beau champ pour votre éloquence.

La rage d’accuser en Languedoc les pères de tuer les enfants subsiste toujours. Un enfant meurt d’une fièvre maligne à Montpellier ; le médecin va voyager ; pendant son voyage, on accuse le père d’avoir assassiné son fils. On allait le condamner, lorsque le médecin arrive, parle aux juges, les fait rougir, et le père prend actuellement les juges à partie. Cette aventure pourrait bien mériter un épisode dans votre mémoire. Je vais écrire au médecin pour savoir le nom de ce brave père.

Adieu, monsieur ; j’ai le malheur de n’avoir vu ni Mme  de Beaumont ni vous, mais j’ai le bonheur de vous aimer tous deux de tout mon cœur.


6122. — À M.  HENNIN[1].
Ferney, 29 septembre.

Je suis outré, monsieur, de m’être défait des Délices, où j’ai eu le bonheur de vous voir ; mais heureusement je suis encore

  1. Hennin (voyez tome XXXIX, page 493) venait de succéder à Montpéroux ; voyez lettre 6107.