Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6107

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 61-62).

6107. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
9 septembre.

Notre résident Montpéroux[1] vient de mourir ; à qui donnera-t-on cette place ? Je voudrais bien que ce fût à un philosophe. Plusieurs personnes la demandent. Je ne connais point du tout par moi-même M. Astier, qui est en Hollande, et qui a, dit-on, bien servi ; mais je sais qu’il est fort sage et fort paisible. Il est sans doute convenable de ne pas envoyer dans cette ville un bigot fanatique.

Je songe à ce pauvre Tercier[2], qui a perdu si mal à propos sa place pour avoir approuvé un livre médiocre, qui n’était que la paraphrase des Pensées de La Rochefoucauld. Si nous pouvions l’avoir, ce serait une grande consolation. Quoi qu’il en soit, je supplie instamment mes anges de nous envoyer un résident philosophe.

M. de Chauvelin, l’ambassadeur à Turin, m’a mandé qu’il vous enverrait la petite drôlerie de l’ex-jésuite ; mais à quoi vous servira-t-elle, mes divins anges ? Cet exemplaire est, à la vérité, un peu plus complet que le vôtre ; mais il y a encore beaucoup de choses à corriger. Ne vaudrait-il pas mieux renvoyer au petit prêtre sa guenille en droiture ? Je vous ai déjà dit que je recevais sans difficulté les paquets contre-signés qui m’étaient adressés[3] ? Et où serait le mal quand on enjoliverait ce paquet d’une demi-feuille de papier dans laquelle on écrirait : « Voilà ce que M. le duc de Praslin vous envoie ; il trouve vos vers fort mauvais, et vous recommande de les corriger, » ou telle autre chose semblable ? Il me semble que cette grande affaire d’État peut se traiter très-facilement par la poste ; on renverra le tout avec une préface des plus honnêtes, et toutes les indications nécessaires à l’ami Lekain.

Je suis toujours très-émerveillé de la défense qu’on a faite au roi de donner le privilège à Mme Calas de vendre une estampe[4]. J’ai déjà fait quelques souscriptions dans ma retraite, et M. Tronchin en a fait bien davantage, comme de raison. Je plains bien mes pauvres Sirven. Malheur à tous ceux qui viennent les derniers, dans quelque genre que ce puisse être ! l’attention du public n’est plus pour eux. Il faudrait à présent avoir eu deux hommes roués dans sa famille pour faire quelque éclat dans le monde.

Je m’imagine que l’affaire des dîmes sera décidée à Fontainebleau[5]. Il en est de cette besogne comme de celle de l’ex-jésuite ; il n’importe en quel temps elles finissent, pourvu que mes anges et M. le duc de Praslin les favorisent toutes deux.

Tout ce qui est dans ma petite retraite se met au bout des ailes de mes anges.

  1. Résident de France à Genève.
  2. Voyez la note, tome XXXIX, page 499.
  3. Lettre 6062.
  4. Voyez les lettres 6088 et 6096.
  5. Voltaire finit par transiger avec son curé.