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ANNÉE 1766.

copie très-informe et très-barbouillée : je l’ai prié de la jeter dans le feu, en attendant la véritable.

Je vous ai mandé, je crois, que j’avais écrit à M. de Courteilles[1]. Je voudrais bien savoir le nom de l’auteur du petit ouvrage sur les Commissions. On dit qu’il est de M. Lambert[2], conseiller au parlement ; mais c’est ce dont je doute beaucoup. Adieu, mon cher ami ; il ne reste que la place de vous dire à quel point je vous chéris.


6617. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Je vous fais mes remerciements pour la belle tragédie[3] que je viens de recevoir, et pour les ouvrages intéressants que j’attends encore et qui ne tarderont pas d’arriver. J’ai donné commission de chercher l’Abrégé[4] de Fleury, s’il s’en trouve à Berlin, pour vous l’envoyer. On prétend qu’un docteur Ernesti a réfuté cet ouvrage[5] ; mais ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’étant luthérien il s’est vu nécessité de plaider la cause du pape, ce qui a fort édifié la cour de Saxe.

Je vous envoie en même temps un poëme singulier pour le choix du sujet[6] ; ce sont les réflexions de l’empereur Marc-Aurèle mises en vers. J’aime encore la poésie. Je n’ai que de faibles talents ; mais comme je ne barbouille du papier que pour m’amuser, aussi peu importe-t-il au public que je joue au wisk, ou que je lutte contre la difficulté de la versification ; ceci est plus facile et moins hasardeux que d’attaquer l’hydre de la superstition. Vous croyez que je pense que le peuple a besoin du frein de la religion pour être contenu ; je vous assure que ce n’est pas mon sentiment ; au contraire, l’expérience me range entièrement de l’opinion de Bayle. Une société ne saurait subsister sans lois, mais bien sans religion, pourvu qu’il y ait un pouvoir qui, par des peines afflictives, contraigne la multitude à obéir à ces lois ; cela se confirme par l’expérience des sauvages qu’on a trouvés dans les îles Mariannes, qui n’avaient aucune idée métaphysique dans leur tête ; cela se prouve encore plus par le gouvernement chinois, où le théisme est la religion de tous les grands de l’État. Cependant, comme vous voyez que dans cette vaste monarchie le peuple s’est abandonné à la superstition des bonzes, je soutiens qu’il en arriverait de même ailleurs, et qu’un État purgé de toute superstition ne se soutiendrait pas longtemps dans sa pureté, mais que de nouvelles absurdités reprendraient la place des anciennes ; et cela

  1. Cette lettre manque.
  2. L’ouvrage est de Chaillou.
  3. Le Triumvirat.
  4. Voyez page 203.
  5. Jean-Auguste Ernesti avait critiqué sévèrement l’Abrégé de Fleury et l’Avant-propos de Frédéric qui le précédait, dans sa Neue theologische Bibliothek, Leipzig, 1766, tome VII, pages 333-345.
  6. Le Stoïcien : voyez la lettre de Voltaire, du 5 janvier 1767.