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ANNÉE 1766.

mais je ne suis pas oisif ; je mourrai en travaillant et en vous aimant.


6579. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 novembre.

Divins anges, vous vous y attendiez bien ; voici des corrections que je vous supplie de faire porter sur le manuscrit.

Maman Denis et un des acteurs[1] de notre petit théâtre de Ferney, fou du tripot, et difficile, disent qu’il n’y a plus rien à faire, que tout dépendra du jeu des comédiens ; qu’ils doivent jouer les Scythes comme ils ont joué le Philosophe sans le savoir[2], et que les Scythes doivent faire le plus grand effet, si les acteurs ne jouent ni froidement ni à contre-sens.

Maman Denis et mon vieux comédien de Ferney assurent qu’il n’y a pas un seul rôle dans la pièce qui ne puisse faire valoir son homme. Le contraste qui anime la pièce d’un bout à l’autre doit servir la déclamation, et prête beaucoup au jeu muet, aux attitudes théâtrales, à toutes les expressions d’un tableau vivant. Voyez, mes anges, ce que vous en pensez ; c’est vous qui êtes les juges souverains.

Je tiens qu’il faut donner cette pièce sur-le-champ, et en voici la raison. Il n’y a point d’ouvrage nouveau sur des matières très-délicates qu’on ne m’impute ; les livres de cette espèce pleuvent de tous côtés. Je serai infailliblement la victime de la calomnie si je ne prouve l’alibi. C’est un bon alibi qu’une tragédie. On dit : Voyez ce pauvre vieillard ! peut-il faire à la fois cinq actes, et cela, et cela encore ? Les honnêtes gens alors crient à l’imposture.

Je vous supplie, ô anges bienfaiteurs ! de montrer la lettre ci-jointe[3] à M. le duc de Praslin, ou de lui en dire la substance. Il sera très-utile qu’il ordonne à un de ses secrétaires ou premiers commis d’encourager fortement M. du Clairon à découvrir quel est le polisson qui a envoyé de Paris aux empoisonneurs de Hollande son venin contre toute la cour, contre les ministres, et contre le roi même, et qui fait passer sa drogue sous mon nom[4].

  1. Voltaire lui-même.
  2. Comédie de Sedaine.
  3. C’était une lettre pour du Clairon (voyez no 6583) ; elle est perdue.
  4. Il s’agit toujours des Lettres qui donnèrent lieu à l’Appel au public ; voyez tome XXV, page 579.