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ANNÉE 1766.

Jean-Jacques du moins ne fait de mal qu’à lui, car je ne crois pas qu’il ait pu m’en faire ; et Mme  la maréchale de Luxembourg ne peut pas croire que j’aie jamais pu me joindre aux persécuteurs du Vicaire savoyard[1]. Jean-Jacques ne le croit pas lui-méme ; mais il est comme Chie-en-pot-la-Perruque, qui disait que tout le monde lui en voulait.

Savez-vous que l’horrible aventure du chevalier de La Barre a été causée par le tendre amour ? Savez-vous qu’un vieux maraud d’Abbeville, nommé Belleval, amoureux de l’abbesse de Villancourt[2], et maltraité, comme de raison, a été le seul mobile de cette abominable catastrophe ? Ma nièce de Florian, qui a l’honneur de vous connaître, et dont les terres sont auprès d’Abbeville, est bien instruite de toutes ces horreurs ; elles font dresser les cheveux à la tête.

Savez-vous encore que feu monsieur le dauphin, qu’on ne peut assez regretter, lisait Locke dans sa dernière maladie ? J’ai appris, avec bien de l’étonnement, qu’il savait toute la tragédie de Mahomet par cœur. Si ce siècle n’est pas celui des grands talents, il est celui des esprits cultivés.

Je crois que M.  le président Hénault a été aussi enthousiasmé que moi de M.  le prince de Brunswick. Il y a un roi de Pologne philosophe qui se fait une grande réputation. Et que dirons-nous de mon impératrice de Russie ?

Je m’aperçois que ma lettre est un éloge de têtes couronnées ; mais, en vérité, ce n’est pas fadeur, car j’aime encore mieux leurs valets de chambre.

Il m’est venu un premier valet de chambre du roi, nommé M. de La Borde, qui fait de la musique, et à qui monsieur le dauphin avait conseillé de mettre en musique l’opéra de Pandore. C’est de tous les opéras, sans exception, le plus susceptible d’un grand fracas. Faites-vous lire les paroles, qui sont dans mes Œuvres[3], et vous verrez s’il n’y a pas là bien du tapage.

Je croyais que M.  de La Borde faisait de la musique comme un premier valet de chambre en doit faire, de la petite musique de cour et de ruelle ; je l’ai fait exécuter : j’ai entendu des choses dignes de Rameau. Ma nièce Denis en est tout aussi étonnée que moi, et son jugement est bien plus important que le mien, car elle est excellente musicienne.

  1. Ce morceau est dans le troisième livre d’Émile.
  2. Voyez tome XXV, page 505; et XXIX, 377.
  3. Tome III de la présente édition.