Relation de la mort du chevalier de La Barre


AVERTISSEMENT
DES ÉDITEURS DE L’ÉDITION DE KEHL
SUR LES DEUX OUVRAGES SUIVANTS[1].

Nous nous permettrons quelques réflexions sur l’horrible événement d’Abbeville, qui, sans les courageuses réclamations de M. de Voltaire et de quelques hommes de lettres, eût couvert d’opprobre la nation française aux yeux de tous ceux des peuples de l’Europe qui ont secoué le joug des superstitions monacales.

Il n’existe point en France de loi qui prononce la peine de mort contre aucune des actions imputées au chevalier de La Barre.

L’édit de Louis XIV contre les blasphémateurs ne décerne la peine d’avoir la langue coupée qu’après un nombre de récidives qui est presque moralement impossible : il ajoute que, « quant aux blasphèmes énormes qui, selon la théologie, appartiennent au genre de l’infidélité », les juges pourront punir même de mort.

1° Cette permission de tuer un homme n’en donne pas le droit, et un juge qui, autorisé par la loi à punir d’une moindre peine, prononce la peine de mort, est un assassin et un barbare.

2° C’est un principe de toutes les législations qu’un délit doit être constaté : or il n’est point constaté au procès qu’aucun des prétendus blasphèmes du chevalier de La Barre appartienne, suivant la théologie, au genre de l’infidélité. Il fallait une décision de la Sorbonne, puisqu’il est question dans l’édit de prononcer suivant la théologie, comme il faut un procès-verbal de médecins dans les circonstances où il faut prononcer suivant la médecine.

Quant au bris d’images, en supposant que le chevalier de La Barre en fût convaincu, il ne devait pas être puni de mort. Une seule loi prononce cette peine : c’est un édit de pacification donné par le chancelier de L’Hospital, sous Charles IX, et révoqué bientôt après. En jugeant de l’esprit de cette loi par les circonstances où elle a été faite, par l’esprit qui l’a dictée, par les intentions bien connues du magistrat humain et éclairé qui l’a rédigée, on voit que son unique but était de prévenir les querelles sanglantes que le zèle imprudent de quelque protestant aurait pu allumer entre son parti et celui des partisans de l’Église romaine. La durée de cette loi devait-elle s’étendre au delà des troubles qui pouvaient en excuser la dureté et l’injustice ? C’est à peu près comme si on punissait de mort un homme qui est sorti d’une ville sans permission, parce que, cette ville étant assiégée il y a deux cents ans, on a défendu d’en sortir sous peine de mort, et que la loi n’a point été abrogée.

D’ailleurs la loi porte : « et autres actes scandaleux et séditieux », et non pas, scandaleux ou séditieux[2] : donc, pour qu’un homme soit dans le cas de la loi, il faut que le scandale qu’il donne soit aggravé par un acte séditieux, qui est un véritable crime. Ce n’est pas le scandale que le vertueux L’Hospital punit par cette loi, c’est un acte séditieux qui était alors une suite nécessaire de ce scandale. Ainsi, lorsque l’on punit dans un temps de guerre une action très-légitime en elle-même, ce n’est pas cette action qu’on punit, mais la trahison, qui dans ce moment est inséparable de cette action.

Il est donc trop vrai que le chevalier de La Barre a péri sur un échafaud parce que les juges n’ont pas entendu la différence d’une particule disjonctive à une particule conjonctive.

La maxime de Zoroastre : Dans le doute abstiens-toi, doit être la loi de tous les juges : ils doivent, pour condamner, exiger que la loi qui prononce la peine soit d’une évidence qui ne permette pas le doute ; comme ils ne doivent prononcer sur le fait qu’après des preuves claires et concluantes.

Le dernier délit imputé au chevalier de La Barre, celui de bris d’images, n’était pas prouvé : l’arrêt prononce véhémentement suspecté. Mais si on entend ces mots dans leur sens naturel, tout arrêt qui les renferme ordonne un véritable assassinat : ce ne sont pas les gens soupçonnés d’un crime, mais ceux qui en sont convaincus, que la société a droit de punir. Dira-t-on que ces mots véhémentement suspecté indiquent une véritable preuve, mais moindre que celle qui fait prononcer que l’accusé est atteint et convaincu ? Cette explication indiquerait un système de jurisprudence bien barbare ; et si on ajoutait qu’on punit un homme, moitié pour une action dont il est convaincu, moitié pour celle dont on dit qu’il est véhémentement suspecté, ce serait une confusion d’idées bien plus barbare encore.

Observons de plus que, dans ce procès criminel, non-seulement les juges ont interprété la loi, usage qui peut être regardé comme dangereux, mais qu’ils ont donné à cette interprétation secrète un effet rétroactif, en l’appliquant à un crime commis antérieurement, ce qui est contraire à tous les principes du droit public ; que la question de l’interprétation de la loi n’a pas été jugée séparément de la question, sur le fait ; qu’enfin cette interprétation d’une loi dans le sens de la rigueur pouvait, suivant cette manière de procéder, être décidée par une pluralité de deux voix, et l’a été réellement d’un cinquième. Et l’on s’étonnerait encore qu’indépendamment de toute idée de tolérance, de philosophie, d’humanité, de droit naturel, un tel jugement ait soulevé tous les hommes éclairés d’un bout de l’Europe à l’autre !



RELATION
DE LA MORT DU CHEVALIER DE LA BARRE[3].

Il semble, monsieur, que toutes les fois qu’un génie bienfaisant cherche à rendre service au genre humain, un démon funeste s’élève aussitôt pour détruire l’ouvrage de la raison.

À peine eûtes-vous instruit l’Europe par votre excellent livre sur les délits et les peines, qu’un homme[4] qui se dit jurisconsulte, écrivit contre vous en France. Vous aviez soutenu la cause de l’humanité, et il fut l’avocat de la barbarie. C’est peut-être ce qui a préparé la catastrophe du jeune chevalier de La Barre[5], âgé de dix-neuf ans, et du fils du président d’Étallonde, qui n’en avait pas encore dix-huit.

Avant que je vous raconte, monsieur, cette horrible aventure qui a indigné l’Europe entière (excepté peut-être quelques fanatiques ennemis de la nature humaine), permettez-moi de poser ici deux principes que vous trouverez incontestables.

1° Quand une nation est encore assez plongée dans la barbarie pour faire subir aux accusés le supplice de la torture, c’est-à-dire pour leur faire souffrir mille morts au lieu d’une, sans savoir s’ils sont innocents ou coupables, il est clair au moins qu’on ne doit point exercer cette énorme fureur contre un accusé quand il convient de son crime, et qu’on n’a plus besoin d’aucune preuve.

2° Il est aussi absurde que cruel de punir les violations des usages reçus dans un pays, les délits commis contre l’opinion régnante, et qui n’ont opéré aucun mal physique, du même supplice dont on punit les parricides et les empoisonneurs.

Si ces deux règles ne sont pas démontrées, il n’y a plus de lois, il n’y a plus de raison sur la terre ; les hommes sont abandonnés à la plus capricieuse tyrannie, et leur sort est fort au-dessous de celui des bêtes.

Ces deux principes établis, je viens, monsieur, à la funeste histoire que je vous ai promise.

Il y avait dans Abbeville, petite cité de Picardie, une abbesse[6], fille d’un conseiller d’État très-estimé ; c’est une dame aimable, de mœurs très-régulières, d’une humeur douce et enjouée, bienfaisante, et sage sans superstition.

Un[7] habitant d’Abbeville, nommé Belleval, âgé de soixante ans, vivait avec elle dans une grande intimité, parce qu’il était chargé de quelques affaires du couvent : il est lieutenant d’une espèce de petit tribunal qu’on appelle l’élection, si on peut donner le nom de tribunal à une compagnie de bourgeois uniquement préposés pour régler l’assise de l’impôt appelé la taille. Cet homme devint amoureux de l’abbesse, qui ne le repoussa d’abord qu’avec sa douceur ordinaire, mais qui fut ensuite obligée de marquer son aversion et son mépris pour ses importunités trop redoublées.

Elle fit venir chez elle dans ce temps-là, en 1764, le chevalier de La Barre, son neveu, petit-fils d’un lieutenant général des armées, mais dont le père avait dissipé une fortune de plus de quarante mille livres de rentes : elle prit soin de ce jeune homme comme de son fils, et elle était prête de lui faire obtenir une compagnie de cavalerie ; il fut logé dans l’extérieur du couvent, et madame sa tante lui donnait souvent à souper, ainsi qu’à quelques jeunes gens de ses amis. Le sieur[8] Belleval, exclu de ces soupers, se vengea en suscitant à l’abbesse quelques affaires d’intérêt.

Le jeune La Barre prit vivement le parti de sa tante, et parla à cet homme avec une hauteur qui le révolta entièrement. Belleval résolut de se venger ; il sut que le chevalier de La Barre et le jeune d’Étallonde, fils du président de l’élection, avaient passé depuis peu devant une procession sans ôter leur chapeau : c’était au mois de juillet 1765. Il chercha dès ce moment à faire regarder cet oubli momentané des bienséances comme une insulte préméditée faite à la religion. Tandis qu’il ourdissait secrètement cette trame, il arriva malheureusement que, le 9 août de la même année, on s’aperçut que le crucifix de bois posé sur le pont neuf d’Abbeville était endommagé, et l’on soupçonna que des soldats ivres avaient commis cette insolence impie.

Je ne puis m’empêcher, monsieur, de remarquer ici qu’il est peut-être indécent et dangereux d’exposer sur un pont ce qui doit être révéré dans un temple catholique ; les voitures publiques peuvent aisément le briser ou le renverser par terre. Des ivrognes peuvent l’insulter au sortir d’un cabaret, sans savoir même quel excès ils commettent. Il faut remarquer encore que ces ouvrages grossiers, ces crucifix de grand chemin, ces images de la vierge Marie, ces enfants Jésus qu’on voit dans des niches de plâtre au coin des rues de plusieurs villes, ne sont pas un objet d’adoration tels qu’ils le sont dans nos églises : cela est si vrai qu’il est permis de passer devant ces images sans les saluer. Ce sont des monuments d’une piété mal éclairée ; et, au jugement de tous les hommes sensés, ce qui est saint ne doit être que dans le lieu saint.

Malheureusement l’évêque d’Amiens, étant aussi évêque d’Abbeville, donna à cette aventure une célébrité et une importance qu’elle ne méritait pas[9]. Il fit lancer des monitoires ; il vint faire une procession solennelle auprès de ce crucifix, et on ne parla dans Abbeville que de sacriléges pendant une année entière, On disait qu’il se formait une nouvelle secte qui brisait tous les crucifix, qui jetait par terre toutes les hosties et les perçait à coups de couteau. On assurait qu’elles avaient répandu beaucoup de sang. Il y eut des femmes qui crurent en avoir été témoins. On renouvela tous les contes calomnieux répandus contre les juifs dans tant de villes de l’Europe. Vous connaissez, monsieur, à quel excès la populace porte la crédulité et le fanatisme, toujours encouragé par les moines.

Le[10] sieur Belleval, voyant les esprits échauffés, confondit malicieusement ensemble l’aventure du crucifix et celle de la procession, qui n’avaient aucune connexité. Il rechercha toute la vie du chevalier de La Barre : il fit venir chez lui valets, servantes, manœuvres ; il leur dit d’un ton d’inspiré qu’ils étaient obligés, en vertu des monitoires, de révéler tout ce qu’ils avaient pu apprendre à la charge de ce jeune homme : ils répondirent tous qu’ils n’avaient jamais entendu dire que le chevalier de La Barre eût la moindre part à l’endommagement du crucifix.

On ne découvrit aucun indice touchant cette mutilation, et même alors il parut fort douteux que le crucifix eût été mutilé exprès. On commença à croire (ce qui était assez vraisemblable) que quelque charrette chargée de bois avait causé cet accident.

« Mais, dit Belleval[11] à ceux qu’il voulait faire parler, si vous n’êtes pas sûrs que le chevalier de La Barre ait mutilé un crucifix en passant sur le pont, vous savez au moins que cette année, au mois de juillet, il a passé dans une rue avec deux de ses amis à trente pas d’une procession sans ôter son chapeau. Vous avez ouï dire qu’il a chanté une fois des chansons libertines ; vous êtes obligés de l’accuser sous peine de péché mortel. »

Après les avoir ainsi intimidés, il alla lui-même chez le premier juge de la sénéchaussée d’Abbeville. Il y déposa contre son ennemi, il força ce juge à entendre les dénonciateurs.

La procédure une fois commencée, il y eut une foule de délations. Chacun disait ce qu’il avait vu ou cru voir, ce qu’il avait entendu ou cru entendre. Mais quel fut, monsieur, l’étonnement de Belleval, lorsque les témoins qu’il avait suscités lui-même contre le chevalier de La Barre dénoncèrent son propre fils comme un des principaux complices des impiétés secrètes qu’on cherchait à mettre au grand jour ! Belleval fut frappé comme d’un coup de foudre : il fit incontinent évader son fils ; mais, ce que vous croirez à peine, il n’en poursuivit pas avec moins de chaleur cet affreux procès.

Voici, monsieur, quelles sont les charges.

Le 13 août 1765, six témoins déposent qu’ils ont vu passer trois jeunes gens à trente pas d’une procession, que les sieurs de La Barre et d’Étallonde avaient leur chapeau sur la tête, et le sieur Moinel le chapeau sous le bras.

Dans une addition d’information, une Élisabeth Lacrivel dépose avoir entendu dire à un de ses cousins que ce cousin avait entendu dire au chevalier de La Barre qu’il n’avait pas ôté son chapeau.

Le 26 septembre, une femme du peuple, nommée Ursule Gondalier, dépose qu’elle a entendu dire que le chevalier de La Barre, voyant une image de saint Nicolas en plâtre chez la sœur Marie, tourière du couvent, il demanda à cette tourière si elle avait acheté cette image pour avoir celle d’un homme chez elle.

Le nommé Bauvalet dépose que le chevalier de La Barre a proféré un mot impie en parlant de la vierge Marie.

Claude, dit Sélincourt[12], témoin unique, dépose que l’accusé lui a dit que les commandements de Dieu ont été faits par des prêtres ; mais à la confrontation, l’accusé soutient que Sélincourt est un calomniateur, et qu’il n’a été question que des commandements de l’Église.

Le nommé Héquet, témoin unique, dépose que l’accusé lui a dit ne pouvoir comprendre comment on avait adoré un dieu de pâte. L’accusé, dans la confrontation, soutient qu’il a parlé des Égyptiens.

Nicolas Lavallée dépose qu’il a entendu chanter au chevalier de La Barre deux chansons libertines de corps de garde. L’accusé avoue qu’un jour, étant ivre, il les a chantées avec le sieur d’Étallonde sans savoir ce qu’il disait ; que dans cette chanson on appelle, à la vérité, sainte Marie-Magdeleine putain, mais qu’avant sa conversion elle avait mené une vie débordée : il est convenu d’avoir récité l’Ode à Priape du sieur Piron.

Le nommé Héquet dépose encore, dans une addition, qu’il a vu le chevalier de La Barre faire une petite génuflexion devant les livres intitulés Thérèse philosophe, la Tourière des carmélites, et le Portier des chartreux. Il ne désigne aucun autre livre, mais au récolement et à la confrontation il dit qu’il n’est pas sûr que ce fût le chevalier de La Barre qui fit ces génuflexions.

Le nommé Lacour dépose qu’il a entendu dire à l’accusé au nom du c.., au lieu de dire au nom du Père, etc. Le chevalier, dans son interrogatoire sur la sellette, a nié ce fait.

Le nommé Pétignot dépose qu’il a entendu l’accusé réciter les litanies du c[13], telles à peu près qu’on les trouve dans Rabelais, et que je n’ose rapporter ici. L’accusé le nie dans son interrogatoire sur la sellette : il avoue qu’il a en effet prononcé c.., mais il nie tout le reste.

Voilà, monsieur, toutes les accusations portées contre le chevalier de La Barre, le sieur Moinel, le sieur d’Étallonde, Jean-François Douville de Maillefeu, et[14] le fils du nommé Belleval, auteur de toute cette tragédie.

Il est constaté qu’il n’y avait eu aucun scandale public, puisque La Barre et Moinel ne furent arrêtés que sur des monitoires lancés à l’occasion de la mutilation du crucifix, mutilation scandaleuse et publique, dont ils ne furent chargés par aucun témoin. On rechercha toutes les actions de leur vie, leurs conversations secrètes, des paroles échappées un an auparavant ; on accumula des choses qui n’avaient aucun rapport ensemble, et en cela même la procédure fut très-vicieuse. Sans ces monitoires et sans les mouvements violents que se donna Belleval, il n’y aurait jamais eu de la part de ces enfants infortunés ni scandale ni procès criminel : le scandale public n’a été que dans le procès même.

Le monitoire d’Abbeville fit précisément le même effet que celui de Toulouse contre les Calas ; il troubla les cervelles et les consciences. Les témoins, excités par Belleval comme ceux de Toulouse l’avaient été par le capitoul David, rappelèrent, dans leur mémoire, des faits, des discours vagues, dont il n’était guère possible qu’on put se rappeler exactement les circonstances, ou favorables ou aggravantes.

Il faut avouer, monsieur, que s’il y a quelques cas où un monitoire est nécessaire, il y en a beaucoup d’autres où il est très-dangereux. Il invite les gens de la lie du peuple à porter des accusations contre les personnes élevées au-dessus d’eux, dont ils sont toujours jaloux. C’est alors un ordre intimé par l’Église de faire le métier infâme de délateur. Vous êtes menacés de l’enfer si vous ne mettez pas votre prochain en péril de sa vie.

Il n’y a peut-être rien de plus illégal dans les tribunaux de l’Inquisition ; et une grande preuve de l’illégalité de ces monitoires, c’est qu’ils n’émanent point directement des magistrats, c’est le pouvoir ecclésiastique qui les décerne. Chose étrange qu’un ecclésiastique, qui ne peut juger à mort, mette ainsi dans la main des juges le glaive qu’il lui est défendu de porter !

Il n’y eut d’interrogés que le chevalier et le sieur Moinel, enfant d’environ quinze ans. Moinel, tout intimidé et entendant prononcer au juge le mot d’attentat contre la religion, fut si hors de lui qu’il se jeta à genoux et fit une confession générale comme s’il eût été devant un prêtre. Le chevalier de La Barre, plus instruit et d’un esprit plus ferme, répondit toujours avec beaucoup de raison, et disculpa Moinel, dont il avait pitié. Cette conduite, qu’il eut jusqu’au dernier moment, prouve qu’il avait une belle âme. Cette preuve aurait dû être comptée pour beaucoup aux yeux de juges intelligents, et ne lui servit de rien.

Dans ce procès, monsieur, qui a eu des suites si affreuses, vous ne voyez que des indécences, et pas une action noire ; vous n’y trouvez pas un seul de ces délits qui sont des crimes chez toutes les nations, point de meurtre, point de brigandage, point de violence, point de lâcheté : rien de ce qu’on reproche à ces enfants ne serait même un délit dans les autres communions chrétiennes. Je suppose que le chevalier de La Barre et M. d’Étallonde aient dit que l’on ne doit pas adorer un dieu de pâte, c’est précisément et mot à mot ce que disent tous ceux de la religion réformée.

Le chancelier d’Angleterre prononcerait ces mots en plein parlement sans qu’ils fussent relevés par personne. Lorsque milord Lockhart était ambassadeur à Paris, un habitué de paroisse porta furtivement l’eucharistie dans son hôtel à un domestique malade qui était catholique ; milord Lockhart, qui le sut, chassa l’habitué de sa maison ; il dit au cardinal Mazarin qu’il ne souffrirait pas cette insulte. Il traita en propres termes l’eucharistie de dieu de pâte et d’idolâtrie. Le cardinal Mazarin lui fit des excuses.

Le grand archevêque Tillotson, le meilleur prédicateur de l’Europe[15], et presque le seul qui n’ait point déshonoré l’éloquence par de fades lieux communs ou par de vaines phrases fleuries comme Cheminais, ou par de faux raisonnements comme Bourdaloue, l’archevêque Tillotson, dis-je, parle précisément de notre eucharistie comme le chevalier de La Barre. Les mêmes paroles respectées dans milord Lockhart à Paris, et dans la bouche de milord Tillotson à Londres, ne peuvent donc être en France qu’un délit local, un délit de lieu et de temps, un mépris de l’opinion vulgaire, un discours échappé au hasard devant une ou deux personnes. N’est-ce pas le comble de la cruauté de punir ces discours secrets du même supplice dont on punirait celui qui aurait empoisonné son père et sa mère, et qui aurait mis le feu aux quatre coins de sa ville ?

Remarquez, monsieur, je vous en supplie, combien on a deux poids et deux mesures. Vous trouverez dans la vingt-quatrième Lettre persane de M. de Montesquieu, président à mortier du parlement de Bordeaux, de l’Académie française, ces propres paroles : « Ce magicien s’appelle pape ; tantôt il fait croire que trois ne font qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce. »

M. de Fontenelle s’était exprimé de la même manière dans sa relation de Rome et de Genève sous le nom de Méro et d’Énegu[16]. Il y avait dix mille fois plus de scandale dans ces paroles de MM. de Fontenelle et de Montesquieu, exposées, par la lecture, aux yeux de dix mille personnes, qu’il n’y en avait dans deux ou trois mots échappés au chevalier de La Barre devant un seul témoin, paroles perdues dont il ne restait aucune trace. Les discours secrets doivent être regardés comme des pensées ; c’est un axiome dont la plus détestable barbarie doit convenir.

Je vous dirai plus, monsieur ; il n’y a point en France de loi expresse qui condamne à mort pour des blasphèmes[17]. L’ordonnance de 1666 prescrit une amende pour la première fois, le double pour la seconde, etc., et le pilori pour la sixième récidive.

Cependant les juges d’Abbeville, par une ignorance et une cruauté inconcevables, condamnèrent le jeune d’Étallonde, âgé de dix-huit ans :

1° À souffrir le supplice de l’amputation de la langue jusqu’à la racine, ce qui s’exécute de manière que si le patient ne présente pas la langue lui-même, on la lui tire avec des tenailles de fer, et on la lui arrache.

2° On devait lui couper la main droite à la porte de la principale église.

3° Ensuite il devait être conduit dans un tombereau à la place du marché, être attaché à un poteau avec une chaîne de fer, et être brûlé à petit feu. Le sieur d’Étallonde avait heureusement épargné, par la fuite, à ses juges l’horreur de cette exécution.

Le chevalier de La Barre étant entre leurs mains, ils eurent l’humanité d’adoucir la sentence, en ordonnant qu’il serait décapité avant d’être jeté dans les flammes ; mais s’ils diminuèrent le supplice d’un côté, ils l’augmentèrent de l’autre, en le condamnant à subir la question ordinaire et extraordinaire, pour lui faire déclarer ses complices ; comme si des extravagances de jeune homme, des paroles emportées dont il ne reste pas le moindre vestige, étaient un crime d’État, une conspiration. Cette étonnante sentence fut rendue le 28 février de cette année 1766.

La jurisprudence de France est dans un si grand chaos, et conséquemment l’ignorance des juges est si grande, que ceux qui portèrent cette sentence se fondèrent sur une déclaration de Louis XIV, émanée en 1682, à l’occasion des prétendus sortiléges et des empoisonnements réels commis par la Voisin, la Vigoureux, et les deux prêtres nommés Vigoureux et Le Sage. Cette ordonnance de 1682 prescrit à la vérité la peine de mort pour le sacrilége joint à la superstition ; mais il n’est question, dans cette loi, que de magie et de sortilége, c’est-à-dire de ceux qui, en abusant de la crédulité du peuple et en se disant magiciens, sont à la fois profanateurs et empoisonneurs : voilà la lettre et l’esprit de la loi ; il s’agit, dans cette loi, de faits criminels pernicieux à la société, et non pas de vaines paroles, d’imprudences, de légèretés, de sottises commises sans aucun dessein prémédité, sans aucun complot, sans même aucun scandale public.

Les juges de la ville d’Abbeville péchaient donc visiblement contre la loi autant que contre l’humanité, en condamnant à des supplices aussi épouvantables que recherchés un gentilhomme et un fils d’une très-honnête famille, tous deux dans un âge où l’on ne pouvait regarder leur étourderie que comme un égarement qu’une année de prison aurait corrigé. Il y avait même si peu de corps de délit que les juges, dans leur sentence, se servent de ces termes vagues et ridicules employés par le petit peuple : « pour avoir chanté des chansons abominables et exécrables contre la vierge Marie, les saints et saintes ». Remarquez, monsieur, qu’ils n’avaient chanté ces « chansons abominables et exécrables contre les saints et saintes » que devant un seul témoin, qu’ils pouvaient récuser légalement. Ces épithètes sont-elles de la dignité de la magistrature ? Une ancienne chanson de table n’est, après tout, qu’une chanson. C’est le sang humain légèrement répandu, c’est la torture, c’est le supplice de la langue arrachée, de la main coupée, du corps jeté dans les flammes, qui est abominable et exécrable.

La sénéchaussée d’Abbeville ressortit au parlement de Paris. Le chevalier de La Barre y fut transféré, son procès y fut instruit. Dix[18] des plus célèbres avocats de Paris signèrent une consultation par laquelle ils démontrèrent l’illégalité des procédures, et l’indulgence qu’on doit à des enfants mineurs, qui ne sont accusés ni d’un complot, ni d’un crime réfléchi ; le procureur général[19] versé dans la jurisprudence, conclut à casser la sentence d’Abbeville : il y avait vingt-cinq juges, dix acquiescèrent aux conclusions du procureur général ; mais des circonstances singulières, que je ne puis mettre par écrit, obligèrent les quinze autres à confirmer cette sentence étonnante[20], le 4 juin 1766.

Est-il possible, monsieur, que, dans une société qui n’est pas sauvage, cinq voix de plus sur vingt-cinq suffisent pour arracher la vie à un accusé, et très-souvent à un innocent[21] ? Il faudrait dans un tel cas de l’unanimité ; il faudrait au moins que les trois quarts des voix fussent pour la mort ; encore, en ce dernier cas, le quart des juges qui mitigerait l’arrêt devrait, dans l’opinion des cœurs bien faits, l’emporter sur les trois quarts de ces bourgeois cruels, qui se jouent impunément de la vie de leurs concitoyens sans que la société en retire le moindre avantage.

La France entière regarda ce jugement avec horreur. Le chevalier de La Barre fut renvoyé à Abbeville pour y être exécuté. On fit prendre aux archers qui le conduisaient des chemins détournés[22] : on craignait que le chevalier de La Barre ne fût délivré sur la route par ses amis ; mais c’était ce qu’on devait souhaiter plutôt que craindre.

Enfin, le 1er juillet de cette année, se fit dans Abbeville cette exécution trop mémorable : cet enfant fut d’abord appliqué à la torture. Voici quel est ce genre de tourment.

Les jambes du patient sont serrées entre des ais ; on enfonce des coins de fer ou de bois entre les ais et les genoux, les os en sont brisés. Le chevalier s’évanouit, mais il revint bientôt à lui, à l’aide de quelques liqueurs spiritueuses, et déclara, sans se plaindre, qu’il n’avait point de complices.

On lui donna pour confesseur et pour assistant un dominicain[23] ami de sa tante l’abbesse, avec lequel il avait souvent soupé dans le couvent. Ce bon homme pleurait, et le chevalier le consolait. On leur servit à dîner. Le dominicain ne pouvait manger. « Prenons un peu de nourriture, lui dit le chevalier ; vous aurez besoin de force autant que moi pour soutenir le spectacle que je vais donner[24]. »

Le spectacle en effet était terrible : on avait envoyé de Paris cinq bourreaux pour cette exécution. Je ne puis dire en effet si on lui coupa la langue et la main[25]. Tout ce que je sais par les lettres d’Abbeville, c’est qu’il monta sur l’échafaud avec un courage tranquille, sans plainte, sans colère, et sans ostentation : tout ce qu’il dit au religieux qui l’assistait se réduit à ces paroles : « Je ne croyais pas qu’on pût faire mourir un gentilhomme pour si peu de chose. »

Il serait devenu certainement un excellent officier : il étudiait la guerre par principes ; il avait fait des remarques sur quelques ouvrages du roi de Prusse et du maréchal de Saxe, les deux plus grands généraux de l’Europe.

Lorsque la nouvelle de sa mort fut reçue à Paris, le nonce dit publiquement qu’il n’aurait point été traité ainsi à Rome, et que s’il avait avoué ses fautes à l’Inquisition d’Espagne ou de Portugal, il n’eût été condamné qu’à une pénitence de quelques années[26].

Je laisse, monsieur[27], à votre humanité et à votre sagesse le soin de faire des réflexions sur un événement si affreux, si étrange, et devant lequel tout ce qu’on nous conte des prétendus supplices des premiers chrétiens doit disparaître. Dites-moi quel est le plus coupable, ou un enfant qui chante deux chansons réputées impies dans sa seule secte, et innocentes dans tout le reste de la terre, ou un juge qui ameute ses confrères pour faire périr cet enfant indiscret par une mort affreuse.

Le sage et éloquent marquis de Vauvenargues a dit[28] : « Ce qui n’offense pas la société n’est pas du ressort de la justice. » Cette vérité doit être la base de tous les codes criminels : or certainement le chevalier de La Barre n’avait pas nui à la société en disant une parole imprudente à un valet, à une tourière, en chantant une chanson. C’étaient des imprudences secrètes dont on ne se souvenait plus ; c’étaient des légèretés d’enfant oubliées depuis plus d’une année, et qui ne furent tirées de leur obscurité que par le moyen d’un monitoire qui les fit révéler, monitoire fulminé pour un autre objet, monitoire qui forma des délateurs, monitoire tyrannique, fait pour troubler la paix de toutes les familles.

Il est si vrai qu’il ne faut pas traiter un jeune homme imprudent comme un scélérat consommé dans le crime que le jeune M. d’Étallonde, condamné par les mêmes juges à une mort encore plus horrible, a été accueilli par le roi de Prusse et mis au nombre de ses officiers ; il est regardé par tout le régiment comme un excellent sujet : qui sait si un jour il ne viendra pas se venger de l’affront qu’on lui a fait dans sa patrie ?

L’exécution du chevalier de La Barre consterna tellement tout Abbeville, et jeta dans les esprits une telle horreur, que l’on n’osa pas poursuivre le procès des autres accusés.

Vous vous étonnez sans doute, monsieur, qu’il se passe tant de scènes si tragiques dans un pays qui se vante de la douceur de ses mœurs, et où les étrangers mêmes venaient en foule chercher les agréments de la société. Mais je ne vous cacherai point que

s’il y a toujours un certain nombre d’esprits indulgents et aimables, il reste encore dans plusieurs autres un ancien caractère de barbarie que rien n’a pu effacer. Vous retrouverez encore ce même esprit qui fit mettre à prix la tête d’un cardinal premier ministre, et qui conduisait l’archevêque de Paris, un poignard à la main, dans le sanctuaire de la justice. Certainement la religion était plus outragée par ces deux actions que par les étourderies du chevalier de La Barre ; mais voilà comme va le monde :

Ille crucem sceleris pretium tulit, hic diadema.

(Juven., sat. xiii, v. 105.)

Quelques juges ont dit que, dans les circonstances présentes, la religion avait besoin de ce funeste exemple. Ils se sont bien trompés ; rien ne lui a fait plus de tort. On ne subjugue pas ainsi les esprits ; on les indigne et on les révolte.

J’ai entendu dire malheureusement à plusieurs personnes qu’elles ne pouvaient s’empêcher de détester une secte qui ne se soutenait que par des bourreaux. Ces discours publics et répétés m’ont fait frémir plus d’une fois.

On a voulu faire périr, par un supplice réservé aux empoisonneurs et aux parricides, des enfants accusés d’avoir chanté d’anciennes chansons blasphématoires, et cela même a fait prononcer plus de cent mille blasphèmes. Vous ne sauriez croire, monsieur, combien cet événement rend notre religion catholique romaine exécrable à tous les étrangers. Les juges disent que la politique les a forcés à en user ainsi. Quelle politique imbécile et barbare ! Ah ! monsieur, quel crime horrible contre la justice de prononcer un jugement par politique, surtout un jugement de mort ! et encore de quelle mort !

L’attendrissement et l’horreur qui me saisissent ne me permettent pas d’en dire davantage.

J’ai l’honneur d’être, etc.

FIN DE LA RELATION, ETC.
  1. Le premier était la Relation de la mort du chevalier de La Barre ; le second était le Cri du sang innocent, qui est de 1775.
  2. C’est le cas du procès de Figaro dans la grande comédie de Beaumarchais. Cette préface serait-elle de l’auteur de la Folle Journée ? (G. A.)
  3. Mme du Deffant, dans sa lettre à M. Walpole, du 23 auguste 1768, et les Mémoires secrets du 10 mars 1708, parlent de la Relation comme d’une nouveauté. Il s’agit de la nouvelle édition qui vit le jour en 1768, in-8° de 30 pages ; mais la première édition, in-8° de 24 pages, sans frontispice, avait paru en 1766 ; elle est datée du 15 juillet de cette année. Cependant la Relation avait été envoyée la veille à Damilaville ; voyez la lettre de Voltaire, du 14 juillet 1766. Voltaire reproduisit sa Relation, en 1769, à la suite de la Canonisation de saint Cucufin, et dans le tome Ier des Choses utiles et agréables ; en 1771, au mot Justice, dans la septième partie de ses Questions sur l’Encyclopédie (voyez tome XIX, page 550). Dans cette dernière impression, on n’avait mis que l’initiale B…, au lieu du nom de Belleval, qu’on lit dans toutes les précédentes (voyez, tome XX, la note de la page 622).

    C’est à L.-A. Deverité, imprimeur à Abbeville, né en 1743, mort en 1818, que l’on doit le volume intitulé Recueil intéressant sur l’affaire de la mutilation du crucifix d’Abbeville, arrivée le 9 août 1765, et sur la mort du chevalier de La Barre, pour servir de supplément aux causes célèbres ; Londres (Abbeville), 1776, in-12.

    L’histoire du chevalier de La Barre a fourni à Fabre d’Églantine le sujet de sa tragédie d’Augusta, jouée en octobre 1787. Marsollier fit, le 8 juillet 1791, représenter sur le théâtre des Italiens un drame en un acte, intitulé le Chevalier de La Barre. Le chevalier d’Étallonde, l’un des coaccusés de La Barre, et qui s’était soustrait à la condamnation prononcée contre lui, refusa des lettres de grâce qui lui furent offertes quelques années après, et obtint, en 1788, des lettres d’abolition. Il rentra en France, et se fixa à Amiens, où il est mort quelques années après. L’auteur de la Biographie d’Abbeville, 1829, in-8°, m’apprend qu’en 1789 la noblesse de Paris demanda, dans ses cahiers, la réhabilitation de La Barre, comme une suite des lettres d’abolition accordées à d’Étallonde.

    Les Mémoires secrets, du 6 août 1706, parlent de trois lettres attribuées à Voltaire, et datées du 6 juillet, relatives à la catastrophe de La Barre. Je n’ai pas été plus heureux que les éditeurs de Kehl, qui n’ont pu se procurer ces lettres, de l’existence desquelles il est permis de douter. (B.)

  4. Pierre-François Muyart de Vouglans, né à Moirans, près Saint-Claude, en 1713, mort à Paris en 1791, est auteur d’une Réfutation des principes hasardés dans le Traité des Délits et des Peines, 1767, in-8° ; mais ce ne peut être lui que désigne ici Voltaire, car Muyart est l’un des huit signataires de la consultation du 27 juin, en faveur de La Barre et de ses coaccusés. (B.)

    — Peut-être Voltaire n’avait pas encore reçu cette consultation lorsqu’il écrivit sa Relation.

  5. Jean-François Lefèvre, chevalier de La Barre, était de la famille des d’Ormesson.
  6. Mme de Brou, abbesse de Willencourt ; voyez la lettre à d’Alembert, du 21 novembre 1774.
  7. Dans l’édition de 1775, on lit :

    « Un nommé Saucourt, espèce de jurisconsulte d’Abbeville, était ulcéré contre cette dame, parce que lui ayant demandé pour son fils une demoiselle riche et de qualité, pensionnaire dans ce couvent, elle l’avait mariée à un autre. Ce Saucourt venait encore de perdre un procès contre un citoyen d’Abbeville, père d’un des jeunes gens qui furent impliqués dans l’horrible aventure du chevalier de La Barre. Saucourt cherchait à se venger. Il avait tout le fanatisme du capitoul de Toulouse David, principal assassin des Calas, et il joignait l’hypocrisie à ce fanatisme. Madame l’abbesse avait fait venir chez elle, etc. »

    Nicolas-Pierre Duval, sieur de Soicourt, était lieutenant particulier, assesseur criminel en la sénéchaussée de Ponthieu et siége présidial d’Abbeville. (B.)

  8. Voici le texte de 1775 :

    « Le sieur Saucourt commença d’abord par accuser le chevalier, auprès de l’évêque d’Amiens, de s’être habillé en fille dans le couvent. Il sut que le chevalier, etc. » (B.)

  9. C’était Louis-François-Gabriel de La Motte, évêque d’Amiens. Dans l’amende honorable qu’il vint faire à Abbeville, le 12 septembre 1765, pendant que le juge instruisait encore l’affaire, ce prélat avait déjà prononcé sur le sort des prévenus, en disant qu’ils s’étaient rendus dignes des derniers supplices en ce monde. (B.)
  10. Dans l’édition de 1775, on lit : « Saucourt voyant, etc. »
  11. Dans l’édition de 1775 on lit : « Mais, dit Saucourt. »
  12. Dans une première édition on lit :

    « Claude, dit Lacour, témoin unique, dépose qu’il a entendu dire au chevalier de La Barre qu’il avait connu un paysan qui s’appelait Bon-Dieu, et qu’il n’en était pas moins un j… f……

    Le 28 septembre, le nommé Sélincourt, etc. » (B.)

  13. Pantagruel, livre III, chapitre xxvi.
  14. L’édition de 1775 porte : « Et le sieur de Saveuse. »
  15. Voltaire en a déjà parlé, tome IV du Théâtre, page 405.
  16. Voyez, tome XXII, la note 2 de la page 175.
  17. Voyez la note des éditeurs de Kehl sur l’article X du Prix de la justice et de l’humanité, et aussi celle sur la lettre du roi de Prusse, du 7 auguste 1766.
  18. Il n’y en avait que huit : Voltaire les nomme dans le Cri du sang innocent.
  19. C’était Guillaume-François-Louis Joly de Fleury, frère d’Omer de Fleury.
  20. Les premières éditions portaient : « ..... étonnante, le 5 juin de cette année 1766 ; » ce qui était une faute : l’arrêt du parlement est du 4 juin. (B.)
  21. Voyez lettre à d’Alembert, du 29 octobre 1774.
  22. On le fit passer par Rouen. Il était dans une chaise de poste, au milieu de deux exempts, et escorté de plusieurs archers, déguisés en courriers.
  23. Le P. Bosquier.
  24. Prenons du café, dit le chevalier de La Barre après le dîner le plus paisible, quelques heures avant son exécution, il ne m’empêchera pas de dormir. Voyez lettre à d’Alembert, 16 juillet 1766.
  25. L’arrêt du parlement portait seulement qu’on lui couperait la langue, c’est-à-dire qu’on la percerait avec un fer rouge. Le chevalier de La Barre s’y étant refusé, les bourreaux ne furent pas assez impitoyables pour le vouloir exécuter à la lettre ; ils en simulèrent l’action.
  26. Les parents, les amis du chevalier de La Barre s’étaient intéressés à lui. On raconte même que le parlement avait différé de six jours à signer son arrêt, espérant que le condamné aurait sa grâce ; mais Louis XV fut inflexible. Ce monarque, disait-on dans le temps, répondit que lorsqu’il avait paru souhaiter que son parlement cessât de faire le procès à Damiens, ce parlement lui avait fait des remontrances ; et qu’à plus forte raison le coupable de lèse-majesté divine ne devait pas être traité plus favorablement que le coupable de lèse-majesté humaine. (B.)
  27. Lorsque cette lettre faisait partie des Questions sur l’Encyclopédie, elle se terminait ainsi :

    « Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me communiquer vos pensées sur cet événement.

    « Chaque siècle voit de ces catastrophes qui effrayent la nature ; les circonstances ne sont jamais les mêmes : ce qui eût été regardé avec indulgence il y a quarante ans peut attirer une mort affreuse quarante ans après. Le cardinal de Retz prend séance au parlement de Paris avec un poignard qui déborde quatre doigts hors de sa soutane, et cela ne produit qu’un bon mot. Des frondeurs jettent par terre le saint sacrement qu’on portait à un malade, domestique du cardinal Mazarin, et chassent les prêtres à coups de plat d’épée ; et on n’y prend pas garde. Ce même Mazarin, ce premier ministre revêtu du sacerdoce, honoré du cardinalat, est proscrit sans être entendu ; son sang est proclamé à cinquante mille écus. On vend ses livres pour payer sa tête dans le temps même qu’il conclut la paix de Munster, et qu’il rend le repos à l’Europe ; mais on n’en fait que rire, et cette proscription ne produit que des chansons.

    « Altri tempi, altre cure ; ajoutons : d’autres temps, d’autres malheurs, et ces malheurs s’oublieront pour faire place à d’autres. Soumettons-nous à la Providence, qui nous éprouve, tantôt par des calamités publiques, tantôt par des désastres particuliers. Souhaitons des lois plus sensées, des ministres des lois plus sages, plus éclairés, plus humains. » (B.)

  28. No 164 de ses Réflexions et Maximes.