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aviez la bonté de venir diner à Ferney quelqu’un de ces jours avec M. Jaco Tronchin, et M. Lullin le secrétaire d’État. M. Lullin est celui qui doit être chargé de dresser les instructions que M. Crommelin suivra dans cette affaire, car il faudra que ce soit la république qui demande la faveur que le ministère lui destine ; et il y a encore une petite difficulté très-légère à aplanir. Cette négociation est votre ouvrage ; vous rendrez service au pays de Gex et à Genève. Je ne doute pas que le conseil ne sente toute l’obligation qu’il vous aura. Il y a peut-être un peu de froideur entre M. Lullin et moi pour un petit malentendu ; mais ces légers nuages doivent être dissipés, et tout doit céder au véritable intérêt de la république, et à celui de ma province. Il vous sera bien aisé de faire sentir d’un mot à M. Lullin que je suis véritablement attaché à sa personne et au conseil. Un simple exposé même de la chose dont il s’agit écartera tout ombrage. Qui peut mieux que vous, monsieur, concilier et ramener les esprits ? En un mot, le bonheur de notre petit pays et de Genève est entre vos mains. Cela vaut bien le Droit négatif[1]. Mais je vous avertis que si vous réussissez, comme je n’en doute pas, je ne vous en aimerai pas davantage : cela m’est impossible. V.

Pouvez-vous venir dimanche ?


6279. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, 28 février 1766.

Vos lettres, et surtout la dernière, me font faire une réflexion. Vous croyez donc qu’il y a des vérités que vous ne connaissez pas, et qu’il est important de connaître ? Vous pensez donc qu’il ne suffit pas de savoir ce qui n’est pas, puisque vous cherchez à savoir ce qui est ? Vous pensez apparemment que cela est possible, pensez-vous que cela soit nécessaire ? Voilà ce que je vous supplie de me dire. Je me suis figuré jusqu’à présent que nos connaissances étaient bornées au pouvoir, aux facultés et à l’étendue de nos sens ; je sais que nos sens sont sujets à l’illusion, mais quel autre guide peut-on avoir ? Dites-moi très-clairement quel penchant ou quel motif vous entraîne aux recherches qui vous occupent ? Est-ce la simple curiosité, et comment ce seul sentiment peut-il vous garantir de tous les objets qui vous environnent ? Quelque puérils qu’ils soient par eux-mêmes, il est naturel que nous en soyons plus affectés que d’idées vagues qui sont pour nous le chaos, ou même le néant. Pour moi, monsieur, je l’avoue, je n’ai qu’une pensée fixe, qu’un sentiment, qu’un chagrin, qu’un malheur, c’est la douleur d’être née ; il n’y a point de rôle qu’on puisse jouer sur le théâtre du monde

  1. Voyez la note sur la lettre 6222.
  2. Correspondance complète, édition Lescure, 1865.