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charmant chevalier de Boufflers a voulu se charger de tout pour lui : il me prouve combien il est agréable d’être obligé par ses amis ; il y recevra une bonne éducation : voilà la meilleure fortune que j’envisage pour lui dans ce moment.

Mon regret, monsieur, est de n’avoir pas pu vous demander votre bénédiction et vos ordres : ce bonheur m’est, j’espère, réservé pour mon retour. Puissiez-vous jouir de cette santé précieuse que tous nos cœurs vous désirent comme à la lumière de notre siècle, dont les rayons vivifient ce qui est bien, et doivent anéantir ce qui est mauvais. Conservez de grâce, monsieur, votre amitié, votre bonté, à celle qui a l’honneur de vous admirer de toutes les facultés de son entendement, et de vous aimer de toutes celles de son cœur. Je demande la même grâce à Mme Denis, et de vouloir bien ne pas m’oublier.


5958. — À M. DAMILAVILLE.
23 mars.

Mon cher frère, voici les ordres que le dieu d’Épidaure signifie à vos amygdales. Portez-vous bien, et jouissez de la force d’Hercule pour écraser l’hydre.

Je suis affligé de n’avoir point encore appris que le roi ait honoré d’une pension l’innocence des Calas.

Vous devez avoir reçu le Mémoire des Sirven[1]. Rien n’est plus clair ; leur innocence est plus palpable que celle des Calas. Il y avait du moins contre les Calas des sujets de soupçon, puisque le cadavre du fils avait été trouvé dans la maison paternelle, et que le père et la mère avaient nié d’abord que ce malheureux se fût pendu : mais ici on ne trouve pas le plus léger indice. Que d’horreurs, juste ciel ! on enlève une fille à son père et à sa mère, on la fouette, on la met en sang pour la faire catholique ; elle se jette dans un puits, et son père, sa mère, et ses sœurs, sont condamnés au dernier supplice !

On est honteux, on gémit d’être homme, quand on voit que d’un côté on joue l’opéra-comique, et que de l’autre le fanatisme arme les bourreaux. Je suis à l’extrémité de la France, mais je suis encore trop près de tant d’abominations.

Est-il vrai qu’Helvétius est parti pour la Prusse ? Du moins ne brûlera-t-on pas ses livres dans ce pays-là.

La destruction est-elle enfin entre les mains du public ? À bon entendeur salut doit être la devise de ce petit livre. Je doute que le Pyrrhonien raisonnable fasse une grande fortune, quoique l’auteur ait beaucoup d’esprit[2].

  1. Voyez la note 4, page 489.
  2. Le comte d’Autrey ; voyez page 484.