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grande actrice[1], dont on ma envoyé la médaille, ne soit pas absolument dans vos intérêts. Je reconnais votre cœur au combat qu’il éprouve entre la reconnaissance et la tyrannie tripotière. Je suis à peu près dans le même cas que vous ; mais, étant plus vieux, je suis un peu plus indifférent. Me voici dans un moment d’apathie, même pour les roués. Avertissez-moi, je vous prie, mon cher ange, quand vous aurez quelque bon acteur ; cela me ressuscitera peut-être.

Vous m’avez fait espérer que mon petit prêtre apostat Moultou, qui est un des plus aimables hommes du monde, serait nommé dans le passe-port. J’attends cette petite faveur avec un peu de douleur, car je serais très-fâché qu’il nous quittât. Il aime la comédie à la fureur ; je ne suis pas de même. Il y a des prêtres qui se dégoûtent de dire la messe : je ne suis pas moins dégoûté des Délices ; les tracasseries de Genève me sont insipides ; et, m’étant aperçu que je n’ai qu’un corps, j’ai conclu qu’il ne me fallait pas deux maisons : c’est bien assez d’une. Il y a des gens qui n’en ont point du tout, et qui valent mieux que moi.

Tout Ferney s’intéresse bien fort à la toux de Mme  d’Argental. Les deux anges ont ici des autels.


5913. — À M.  DAMILAVILLE.
10 février.

Mon cher frère, ce n’est pas moi qui suis marié, c’est Gabriel Cramer. Il a une femme qui a beaucoup d’esprit, et qui a été enchantée de la Destruction[2] ; ma nièce a beaucoup d’esprit aussi, mais elle n’en a rien lu. Voilà ce qu’Archimède-Protagoras peut savoir.

Un de mes amis de Franche-Comté vous envoya un gros paquet, il y a quelques semaines ; j’ignore si c’est pour son vingtième, mais je vois que vous n’avez point reçu le paquet. J’ai peur qu’il n’y ait des esprits malins qui se plaisent à troubler le commerce des pauvres mortels.

J’embrasse tendrement mon frère.

  1. Mlle  Clairon.
  2. Sur la Destruction des jésuites (par d’Alembert) 1765, in-12.