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aiment la variété seront fort aises de cette découverte ; on aime à voir la nature s’élargir. Nous étions autrefois trop resserrés ; les curieux ne seront pas fâchés de voir ce que c’est qu’un empire de deux mille lieues. Mais, on a beau faire, Ramponeau, les comédies du boulevard, et Jean-Jacques mangeant sa laitue à quatre pattes[1], l’emporteront toujours sur les recherches philosophiques.

Je ne peux finir cette lettre, monsieur, sans vous dire un petit mot de vos Égyptiens. Je vous avoue que je crois les Indiens et les Chinois plus anciennement policés que les habitants de Mesraïm ; ma raison est qu’un petit pays, très-étroit, inondé tous les ans, a dû être habité bien plus tard que le sol des Indes et de la Chine, beaucoup plus favorable à la culture et à la construction des villes ; et, comme les pêchers nous viennent de Perse, je crois qu’une certaine espèce d’hommes, à peu près semblable à la nôtre, pourrait bien nous venir d’Asie. Si Sésostris a fait quelques conquêtes, à la bonne heure ; mais les Égyptiens n’ont pas été taillés pour être conquérants. C’est de tous les peuples de la terre le plus mou, le plus lâche, le plus frivole, le plus sottement superstitieux. Quiconque s’est présenté pour lui donner les étrivières l’a subjugué comme un troupeau de moutons. Cambyse, Alexandre, les successeurs d’Alexandre, César, Auguste, les califes, les Circassiens, les Turcs, n’ont eu qu’à se montrer en Égypte pour en être les maîtres. Apparemment que, du temps de Sésostris, ils étaient d’une autre pâte, ou que leurs voisins de Syrie et de Phénicie étaient encore plus méprisables qu’eux.

Pour moi, monsieur, je me suis voué aux Allobroges, et je m’en trouve bien-, je jouis de la plus heureuse indépendance ; je me moque quelquefois des Allobroges de Paris. Je vous aime, je vous estime, je vous révérerai jusqu’à ce que mon corps soit rendu aux éléments dont il est tiré.


4220. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
10 août.

Je cherche ma dernière lettre à mon cher Palissot pour vous l’envoyer. Palissot est un brave homme ; il imprime Français[2], aurais, ferais, par un a, et les encyclopédistes n’en ont pas tant

  1. Les Philosophes, acte III, scène ix.
  2. Voyez, relativement à l’orthographe de ce mot, et à la diphthongue ai, les lettres 592 et 2321, et l’article François du Dictionnaire philosophique.