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avec autant de fureur que de mauvaise foi. Le roi de Prusse, qui m’a envoyé cette épître, ne manquera pas de croire que c’est moi qui l’ai fait courir dans le monde. Je ne l’ai pourtant lue à personne ; je ne vous en ai pas même envoyé un seul vers, à vous le grand confident ; je suis innocent, mais je veux bien me faire anathème pour Protagoras, pourvu que la bonne cause y gagne.

Je souhaite que Jean-Jacques Rousseau obtienne de Mme  de Luxembourg[1] la grâce de l’abbé Morellet ; mais on est persuadé que l’envoi[2] de cette malheureuse Vision a avancé les jours de Mme  la princesse de Robecq, en lui apprenant son danger, que ses amis lui cachaient. Cette cruelle affaire est venue après celle de Marmontel[3]. On veut bien que nous autres barbouilleurs de papier nous nous donnions mutuellement cent ridicules, parce que c’est l’état du métier ; mais on ne veut pas que nous mêlions dans nos caquets les dames et les seigneurs de la cour, qui n’y ont que faire. La cour ne se soucie pas plus de Fréron et de Palissot que des chiens qui aboient dans la rue, ou de nous qui aboyons avec ces chiens. Tout cela est parfaitement égal aux yeux du roi, qui est, je crois, beaucoup plus occupé de ces chiens d’Anglais, qui nous désolent, que des écrivains en prose et en vers de son royaume. Je voudrais que nous eussions cent vaisseaux de ligne, dussions-nous nous passer des Fréron et des Pompignan.

Vous vouliez la réponse à Charles Palissot, la voici[4]. Vous la montrerez sans doute à Protagoras, qui en sera édifié ; il verra que je me fais tout à tous, pour le bien commun.

J’avoue qu’on ne peut attaquer l’infâme tous les huit jours par des écrits raisonnés ; mais on peut aller per domos semer le bon grain.

Je suis encore tout stupéfait qu’on puisse m’attribuer les Quand, les Vadé, les Alethof, etc. Quelle apparence, je vous prie, qu’au milieu des Alpes, quand on fait ses moissons, on aille songer à ces misères ?

Intérim, ride, vale, et quondam veni.

  1. Madeleine-Angélique de Neuville-Villeroi, d’abord mariée au duc de Boufflers, et ensuite au duc de Luxembourg. Voltaire lui avait adressé, vers 1745, un madrigal qui commence par ce vers :

    Votre patronne en son temps savait plaire


    Elle est morte en 1787.
  2. Voyez une note de la lettre 4186.
  3. La parodie de la grande scène de Cinna.
  4. Lettre 4184.