Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4186

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 459-460).

4186. — À MADAME D’ÉPINAI.
Aux Délices, 14 juillet.

Voici ma réponse, madame, à une lettre très-injuste adressée à notre cher docteur, et qu’il vient de m’envoyer. Je vous en fais tenir copie ; comptez que c’est la loi et les prophètes.

Je sais mieux que personne ce qui se passe à Paris et à Versailles, au sujet des philosophes. Si on se divise, si on a de petites faiblesses, on est perdu ; l’infâme et les infâmes triompheront. Les philosophes seraient-ils assez bêtes pour tomber dans le piège qu’on leur tend ? Soyez le lien qui doit unir ces pauvres persécutés.

Jean-Jacques aurait pu servir dans la guerre ; mais la tête lui a tourné absolument. Il vient de m’écrire une lettre dans laquelle il me dit que j’ai perdu Genève. En me parlant de M. Grimm, il l’appelle un Allemand nomme Grimm[1]. Il dit que je suis cause qu’il sera jeté à la voirie, quand il mourra, tandis que moi je serai enterré honorablement.

Que voulez-vous que je vous dise, madame ? Il est déjà mort ; mais recommandez aux vivants d’être dans la plus grande union.

Je me fais anathème pour l’amour des persécutés ; mais il faut qu’ils soient plus adroits qu’ils ne sont : l’impertinence contre Mme de Robecq, la sottise[2] de lui avoir envoyé la Vision, la barbarie de lui avoir appris qu’elle était frappée à mort, sont un coup terrible qu’on a bien de la peine à guérir ; on le guérira pourtant, et je ne désespère de rien si on veut s’entendre.

Je me mets à vos pieds, ma belle philosophe.

  1. Voyez page 422.
  2. Ce n’était pas une sottise ; c’était une perfidie de Palissot, qui avait fait parvenir la Vision à la princesse de Robecq, comme envoyée de la part de l’auteur. (Cl.)