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sonnes que vous attaquez dans votre ouvrage, si elles vous ont offensé, vous faites très-bien de le leur rendre ; il a toujours été permis par les lois de la société de tourner en ridicule les gens qui nous ont rendu ce petit service. Autrefois, quand j’étais du monde, je n’ai guère vu de souper dans lequel un rieur n’exerçât sa raillerie sur quelque convive, qui, à son tour, faisait tous ses efforts pour égayer la compagnie aux dépens du rieur. Les avocats en usent souvent ainsi au barreau. Tous les écrivains de ma connaissance se sont donné mutuellement tous les ridicules possibles. Boileau en donna à Fontenelle, Fontenelle à Boileau. L’autre Rousseau, qui n’est pas Jean-Jacques, se moqua beaucoup de Zaïre[1] et d’Alzire ; et moi, qui vous parle, je crois que je me moquai aussi de ses dernières épîtres[2], en avouant pourtant que l’ode[3] sur les conquérants est admirable, et que la plupart de ses épigrammes sont très-jolies : car il faut être juste, c’est le point principal.

C’est à vous à faire votre examen de conscience, et à voir si vous êtes juste en représentant MM. d’Alembert, Duclos, Diderot, Helvétius, le chevalier de Jaucourt, et tutti quanti, comme des marauds qui enseignent à voler dans la poche.

Encore une fois, s’ils ont voulu rire à vos dépens dans leurs livres, je trouve très-bon que vous riiez aux leurs ; mais, pardieu, la raillerie est trop forte. S’ils étaient tels que vous les représentez, il faudrait les envoyer aux galères, ce qui n’entre point du tout dans le genre comique. Je vous parle net ; ceux que vous voulez déshonorer passent pour les plus honnêtes gens du monde ; et je ne sais même si leur probité n’est pas encore supérieure à leur philosophie. Je vous dirai franchement que je ne sais rien de plus respectable que M. Helvétius, qui a sacrifié deux cent mille livres de rente pour cultiver les lettres en paix.

S’il a, dans un gros livre, avancé une demi-douzaine de propositions téméraires et malsonnantes, il s’en est assez repenti[4], sans que vous dussiez déchirer ses blessures sur le théâtre.

M. Duclos, secrétaire de la première Académie du royaume, me paraît mériter beaucoup plus d’égards que vous n’en avez pour lui ; son livre sur les mœurs n’est point du tout un mauvais livre,

  1. Voyez tome II, page 533.
  2. Voyez tome XXII, page 233.
  3. L’Ode à la Fortune.
  4. La rétractation qu’avait faite Helvétius n’empêcha pas son livre d’être brûlé ; voyez lettre 3764.