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tout n’est pas dit ; et vous auriez dû dire adroitement bien des choses.

J’ignore si on a joué la farce contre les philosophes ; on ne sait comment s’y prendre pour détruire cette pauvre raison. On braille contre elle sur les bancs, dans les rues ; on la joue à la Comédie. Lui donnera-t-on bientôt la ciguë ? Vous êtes plus fous que les Athéniens. Jansénistes, molinistes, cafés, bord…, tout se déchaîne contre les philosophes ; et les pauvres diables sont désunis, dispersés, timides. En Angleterre, ils sont unis, et ils subjuguent.

Je viens de recevoir le Discours de Lefranc de Pompignan, et les Quand[1]. Il me prend envie de les avoir faits. Ce discours est bien indécent, bien révoltant ; il met en colère. Je m’applaudis tous les jours d’être loin de ces pauvretés. Je méprise les hypocrites, et je hais les persécuteurs ; je brave les uns et les autres. Tout cela ne contribue pas à faire aimer les hommes. Il en vient pourtant chez moi beaucoup, et quelques-uns me remercient d’avoir osé être libre, et écrire librement. Pour le peu de temps qu’on a à vivre, que gagne-t-on à être esclave ? Je voudrais vous voir, vous et votre ami[2] ?

Faites-moi le plaisir de me mander le succès de la pièce contre les philosophes, et le nom de cet Aristophane.


4116. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, ce 6 mai.

Mon cher et grand philosophe, je satisfais, autant qu’il est en moi, aux questions que vous me faites[3]. La pièce contre les philosophes a été jouée vendredi[4] pour la première fois, et hier pour la troisième, et jusqu’ici avec beaucoup d’affluence. On dit (car je ne l’ai point vue, et ne la verrai point) qu’elle n’est pas mal écrite, surtout dans le premier acte ; que, du reste, il n’y a ni conduite ni invention. Nous n’y sommes attaqués personnellement ni l’un ni l’autre. Les seuls maltraités sont Helvétius, Diderot, Rousseau, Duclos, Mme Geoffrin et Mlle Clairon, qui a tonné contre cette infamie. Il me paraît, en général, que les honnêtes gens en sont indignés. Jusqu’à présent la pièce n’a été applaudie que par des gens payés, presque tous les billets de parterre ayant été donnés. Le premier jour, entre autres, il y en avait quatre cent cinquante de donnés, et, malgré cela, le peu de spectateurs

  1. Voyez cet écrit, tome XXIV, page 111.
  2. Helvétius.
  3. Dans la lettre 4106.
  4. Le 2 mai.