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données en prose avec modestie, ces belles estampes dessinées de votre main, qui ajoutent un nouveau mérite à l’ouvrage, et qui en font un des plus précieux monuments des beaux-arts.

Je ne sais pourquoi il y avait tant de grands peintres dans le seizième siècle, et que nous en avons aujourd’hui si peu. J’imagine que les manufactures de glaces, les magots de la Chine et les tabatières de cent louis d’or ont nui à la peinture.

Puisse votre ouvrage, monsieur, former autant de bons artistes qu’il vous attirera de louanges ! Je voudrais trouver quelque Claude Lorrain qui peignît ce que je vois de mes fenêtres : c’est un vallon terminé en face par la ville de Genève, qui s’élève en amphithéâtre. Le Rhône sort en cascade de la ville pour se joindre à la rivière d’Arve, qui descend à gauche entre les Alpes ; au delà de l’Arve est encore à gauche une autre rivière, et au delà de cette rivière, quatre lieues de paysage. À droite est le lac de Genève ; au delà du lac, les prairies de Savoie ; tout l’horizon, terminé par des collines qui vont se joindre à des montagnes couvertes de glaces éternelles, éloignées de vingt-cinq lieues, et tout le territoire de Genève semé de maisons de plaisance et de jardins. Je n’ai vu nulle part une telle situation ; je doute que celle de Constantinople soit aussi agréable.

Si M.  Huber[1] voulait s’amuser à peindre ce beau site, j’en ferais encore plus de cas que de ma découpure en robe de chambre.

J’ai l’honneur d’être, avec bien de la reconnaissance et l’estime la plus respectueuse, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4108. — À M.  THIERIOT.
26 avril.

Je ne vous ai point encore remercié, mon cher et ancien ami, du beau calendrier des crimes des jésuites[2] ; ce n’est pas que je sois mort, comme on l’a dit au roi, mais je suis toujours faible et languissant. Si vous voulez me procurer guérison entière, envoyez-moi aussi le calendrier des insolences janséniennes : car encore faut-il avoir son almanach complet. Je tiens les uns et les autres également méchants ; mais les jésuites ont des troupes régulières, et les jansénistes ne sont encore que des housards sans discipline. On m’a mandé qu’on avait mis à Bicêtre deux troupes d’énergumènes qui faisaient des miracles ; il faudrait faire tra-

  1. Dessinateur et naturaliste de Genève, célèbre par ses découpures.
  2. Voyez la lettre à Thieriot du 17 septembre 1759.