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encore signé le contrat : je n’agis jusqu’à présent qu’avec une procuration du vendeur. Je n’ose même aller à la messe de peur que la chambre des comptes ne saisisse mon fief. N’aurai-je pas même encore, s’il vous plaît, six mois après la signature pour vous donner aveu et dénombrement ? Je m’en rapporte à vous ; j’espère qu’on ne me chicanera pas ; mais, mon cher président, ce que j’ai bien plus à cœur et ce que je regarde comme la plus belle des acquisitions, c’est d’avoir quelque part dans le souvenir de Mme de Ruffey[1] ; s’il y a beaucoup de dames à Dijon qui lui ressemblent, c’est à Dijon qu’il faut vivre. Aussi aurais-je déjà fait le voyage si je n’avais embrassé bien fermement le parti de la retraite pour le reste de ma vie.

Vous pourrez dire de moi :


Namquo sub Œbaliæ memini me turribus altis
Corycium vidisse senem, cui pauca beati
Jugera ruris erant, etc.


Et qu’est-ce qui me retient sur les bords de mon lac ?


Libertas, quæ sera tamen respexit inertem.


Voilà trop de latin. Je vous dirai en français que toute ma famille est aux pieds de Mme de Ruffey, et que mon cœur est à vous pour jamais.


3746. — À M. BERTRAND.
Aux Délices, 9 janvier 1759.

Mon cher ami, dites-moi, je vous prie, en confidence, et au nom de l’amitié, quel est l’auteur de ce libelle inséré dans le Mercure suisse. On m’assure que c’est un bourgeois de Lausanne, et, d’un autre côté, on me certifie que c’est un prêtre de Vevay. Je suspends mon jugement, ainsi qu’il le faut quand on nous assure quelque chose. J’ai écrit au sieur Bontemps de vous faire tenir le montant de la friperie italienne[2]. En vérité, je n’ai guère le temps de lire les extraits de livres inconnus. Quand on bâtit deux châteaux, et que ce n’est pas en Espagne, on ne lit guère que des mémoires d’ouvriers. Cela n’est pas extrêmement philosophique, mais c’est un amusement ; c’est le hochet de mon âge. J’ai beau-

  1. Mme de Ruffey avait accompagné son mari dans la visite qu’il fit à Voltaire en octobre 1758.
  2. Voyez les lettres 3675 et 3734.