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CORRESPONDANCE.

leur fais de petits plaisirs, et ils me disent la messe quand je veux bien l’entendre. Mes curés reçoivent mes ordres, et les prédicants genevois n’osent pas me regarder en face. Je brave M. Catbrée[1] autant que je le méprise, et je plains Diderot d’être à Paris.

Toutes les lettres de Vienne disent le marquis de Brandebourg[2] écrasé ; quelques lettres de Saxe le disent vainqueur, et je ne crois ni l’un ni l’autre. Vous savez qu’il faut peu croire ; soyez pourtant certain que l’oncle et la nièce vous aiment de tout leur cœur. Point de philosophie sans amitié.


3914. — À M. CLAIRAUT[3].
Du château de Ferney, 27 août[4].

Votre lettre, monsieur, m’a fait autant de plaisir que votre travail m’a inspiré d’estime. Votre guerre avec les géomètres, au sujet de la comète, me paraît la guerre des dieux dans l’Olympe, tandis que sur la terre les chiens se battent contre les chats. Je suis effrayé de l’immensité de votre travail. Je me souviens qu’autrefois, quand je m’appliquais à la théorie de Newton, je ne sortais jamais de l’étude que malade ; les organes de l’application et de l’intelligence ne sont pas si bons chez moi que chez vous. Vous êtes né géomètre, et je n’étais devenu disciple de Newton que par hasard. Votre dernier travail[5] doit certainement honorer la France ; les Anglais ne peuvent pas avoir tout dit. Newton avait fondé ses lois en partie sur celles de Kepler, et vous avez ajouté à celles de Newton. C’est une chose bien admirable d’être parvenu à reconnaître les inégalités que l’attraction des grosses planètes opère sur la route des comètes. Ces astres, que nos pères et les Grecs ne connaissaient qu’en qualité de chevelus, selon l’étymologie du nom, et en qualité de méchants, comme nous connaissons Clodion le Chevelu, sont aujourd’hui soumis à votre calcul, aussi bien que les astres du système

  1. Nommé deux fois dans la préface de Socrate, tome V.
  2. Le roi de Prusse. Ses armées avaient été battues le 23 juillet à Crossen ; le 12 août, près de Francfort-sur-l’Oder.
  3. Alexis-Claude Clairaut, né le 7 mai 1713, est mort le 17 mai 1765.
  4. C’est d’après une copie manuscrite que Beuchot donne à cette lettre la date du 27, au lieu du 19 qu’elle a dans les autres éditions. La lettre de Clairaut n° 3908, étant du 16, ne pouvait être parvenue à Ferney le 19.
  5. Sans doute le Mémoire lu à l’Académie des sciences le 23 juin 1759, et imprimé dans le Journal des Savants, année 1759, pages 563 à 566. Ce Mémoire contient des réflexions sur le Problème des trois corps, etc. (Cl.)