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J’éprouve le sort d’Orphée ; des dames de cette espèce, et d’un aussi bon caractère, veulent me déchirer ; mais certainement elles n’auront pas ce plaisir.

À propos de sottises, vous voulez savoir les aventures de l’abbé de Prades[1] ; cela ferait un gros volume. Pour satisfaire votre curiosité, il vous suffira de savoir que l’abbé eut la faiblesse de se laisser séduire, pendant mon séjour à Dresde, par un secrétaire que Broglie[2] y avait laissé en partant. Il se fit nouvelliste de l’armée ; et, comme ce métier n’est pas ordinairement goûté à la guerre, on l’a envoyé jusqu’à la paix dans une retraite d’où il n’y a aucunes nouvelles à écrire. Il y a bien d’autres choses ; mais cela serait trop long à dire. Il m’a joué ce beau tour dans le temps même que je lui avais conféré un gros bénéfice dans la cathédrale de Breslau[3].

Vous avez fait le Tombeau de la Sorbonne[4] ; ajoutez-y celui du parlement, qui radote si fort qu’il ne la fera pas longue. Pour vous, vous ne mourrez point. Vous dicterez encore, des Délices, des lois au Parnasse ; vous caresserez encore l’infâme[5] d’une main, et l’égratignerez de l’autre ; vous la traiterez comme vous en usez envers moi[6], et envers tout le monde.


Vous avez, je le présume,
En chaque main une plume ;
L’une, confite en douceur,
Charme par son ton flatteur
L’amour-propre qu’elle allume.
L’abreuvant de son erreur ;
L’autre est un glaive vengeur
Que Tisiphone et sa sœur
Ont plongé dans le bitume,
Et toute l’acre noirceur
De l’infernale amertume ;
Il vous blesse, il vous consume,
Perce les os et le cœur.
Si Maupertuis meurt du rhume,
Si dans Bâle on vous l’inhume,
Ce glaive en sera l’auteur.

Pour moi, nourrisson d’Horace,
Qui n’ai jamais eu l’honneur

  1. Frédéric donne ici carrière à son imagination, au préjudice de l’abbé de Prades. Voyez comment Voltaire s’explique à ce sujet dans sa lettre du 25 avril 1760, à d’Alembert. (Cl.)
  2. Victor-François de Broglie, duc depuis 1745, année de la mort de son père, à qui est adressée la lettre 1364. Il fut créé maréchal de France le 16 décembre 1759.
  3. L’abbé de Prades, qui avait été excommunié, devait aussi à Frédéric sa réconciliation avec l’Église.
  4. Voyez tome XXIV, page 17.
  5. Voyez plus bas l’avant-dernier alinéa de la lettre 3867.
  6. Voltaire avait dit à Frédéric, dans sa lettre du 26 juin 1750 :

    Vous égratignez d’une main,
    Lorsque vous caressez de l’autre.