Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3848. — DE M.  D’ALEMBERT.
Paris, ce 13 mai.

Vous ne m’avez pas bien lu, mon cher et illustre maître. Je n’ai point dit que les sciences fussent plus redevables aux Français qu’à aucune des autres nations ; j’ai dit seulement, et cela est vrai, que l’astronomie physique leur est aujourd’hui plus redevable qu’aux autres peuples[1]. Si vos occupations vous permettaient de lire ce qu’on a fait en France depuis dix ans, vous verriez que je n’ai rien exagéré. Depuis la mort de Newton, les Anglais ne font presque plus rien que de nous prendre des vaisseaux et de nous ruiner.

Ma laubrussellerie[2] aurait mieux valu si je l’avais faite auprès de vous ; mais, telle qu’elle est, je crois qu’elle ne sera pas inutile à la philosophie. Les fanatiques grinceront les dents, et ne pourront pas mordre ; je ne leur ai donné que des coups de baguette, mais cela les préparera aux coups de bâton. Quant à vous, mon cher ami, frappez fort ; vous êtes en place marchande pour cela. Exsurgal Deus, et dissipentur inimici ejus[3] car ces gens-là sont autant les ennemis de Dieu que ceux de la raison.

J’eus, il y a quelques jours, la visite d’un honnête jésuite à qui je donnai de bons avis. Je lui dis que sa société avait eu grand tort de se brouiller avec vous, qu’elle s’en trouverait mal, qu’elle en aurait l’obligation à leur beau Journal de Trévoux, et à leur fanatique Berthier. Mon jésuite, qui apparemment n’aime pas Berthier, et qui n’est pas du Journal, applaudissait à mes remontrances. « Cela est bien fâcheux, me disait-il. — Oui, très-fâcheux, mon révérend père, lui répondis-je, car vous n’aviez pas besoin de nouveaux ennemis. »

Adieu, mon très-cher et illustre maître ; je recommande à vos bonnes intentions et la canaille jésuitique, et la canaille jansénienne, et la canaille parlementaire, et la canaille sorbonique, et la canaille intolérante[4]. Je vous embrasse de tout mon cœur.


3849. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[5].
Landeshut, 18 mai.

Non, ma muse, qui vous pardonne
Tant de lardons malicieux,
N’associa jamais Pétrone
À ces auteurs ingénieux

  1. Voyez la note, page 89.
  2. Voyez la lettre 3840
  3. Psaume lxvii, v. 2.
  4. Voyez, tome VIII, la longue note de M.  de Morza, à la suite de l’Ode sur la mort de la margrave de Baireuth.
  5. La lettre 3867 répond à celle-ci.