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ANNÉE 1758.

Dieu sait quand les malheurs du genre humain finiront ! Plus je vois ces horreurs, plus je m’enfonce dans la retraite. J’appuie ma gauche au mont Jura, ma droite aux Alpes, et j’ai le lac de Genève au devant de mon camp ; un beau château sur les limites de la France, l’ermitage des Délices au territoire de Genève, une bonne maison à Lausanne ; rampant ainsi d’une tanière dans l’autre, je me sauve des rois et des armées, soit combinées, soit non combinées. Malheur à qui a des terres depuis le Rhin jusqu’à la Vistule ! J’espère qu’au moins Vos Altesses sérénissimes seront tranquilles cet hiver. Votre prudence fera le bonheur de vos sujets, et détournera l’orage de vos États.

Je me mets aux pieds de votre auguste famille. Je joins mes jérémiades à celles que fait avec esprit la grande maîtresse des cœurs ; je salue la forêt de Thuringe. Je supplie Votre Altesse sérénissime de ne jamais oublier le bon vieux Suisse, qui lui est attaché si tendrement avec le plus profond respect.


3708. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Décembre.

[1]Ombre illustre, ombre chère, âme héroïque et pure,
Toi que mes tristes yeux ne cessent de pleurer,
Quand la fatale loi de toute la nature
 :  : Te conduit dans la sépulture,
 :  : Faut-il te plaindre ou l’admirer ?

Les vertus, les talents, ont été ton partage ;
 :  : Tu vécus, tu mourus en sage ;
Et, voyant à pas lents avancer le trépas,
 :  : Tu montras le même courage
Qui fait voler ton frère au milieu des combats.

Femme sans préjugés, sans vice, et sans mollesse,
 :  : Tu bannis loin de toi la Superstition,
Fille de l’Imposture et de l’Ambition,
 :  : Qui tyrannise la Faiblesse.

Les Langueurs, les Tourments, ministres de la Mort,
 :  : T’avaient déclaré la guerre ;
 :  : Tu les bravas sans effort,
 : Tu plaignis ceux de la terre.

  1. Le roi de Prusse ne fut pas content de ces vers ; voyez lettre 3755 ; et, le 4 février 1759, Voltaire lui envoya l’ode qui est dans le tome VIII.