Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3755

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 18).
3755. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Breslau, 23 janvier.

J’ai reçu les vers[1] que vous avez faits ; apparemment que je ne me suis pas bien expliqué. Je désire quelque chose de plus éclatant et de public. Il faut que toute l’Europe pleure avec moi une vertu trop peu connue. Il ne faut point que mon nom partage cet éloge ; il faut que tout le monde sache qu’elle est digne de l’immortalité, et c’est à vous de l’y placer.

On dit qu’Apelle était le seul digne de peindre Alexandre ; je crois votre plume la seule digne de rendre ce service à celle qui sera le sujet éternel de mes larmes.

Je vous envoie des vers faits dans un camp, et que je lui envoyai un mois avant cette cruelle catastrophe qui nous en prive pour jamais. Ces vers ne sont certainement pas dignes d’elle, mais c’était du moins l’expression vraie de mes sentiments. En un mot, je ne mourrai content que lorsque vous vous serez surpassé dans ce triste devoir que j’exige de vous.

Faites des vœux pour la paix ; mais, quand même la victoire la ramènerait, cette paix et la victoire, ni tout ce qu’il y a dans l’univers, n’adouciront la douleur cruelle qui me consume.

Vivez plus heureux à Lausanne, et rendez-vous digne que j’oublie tout à fait le passé[2].


Fédéric.

  1. Ceux qui sont au commencement de la lettre 3708.
  2. Les derniers mots de cette lettre : « et rendez-vous digne, etc., » se trouvent dans l’édition de Bâle, et ont été omis par les éditeurs de Kehl et par Beuchot.