Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
443
ANNÉE 1758.

bien leur rendre. J’insisterai pour qu’on vous envoie les exemplaires déjà imprimés.

J’ai été fort malade à Lausanne. Les Délices réparent un peu le mal que Lausanne m’a fait. Je ne sais si M. de Freudenreich ne viendra pas cette année dans nos cantons ; je me flatte qu’en ce cas vous serez du voyage, et que j’aurai l’honneur de recevoir dans mon petit ermitage les personnes à qui je suis le plus attaché. Vous verrez mes petites Délices un peu plus ajustées qu’elles n’étaient. Je cultive aussi l’histoire naturelle ; mais c’est en plantant des arbres, en faisant des terrasses, des allées, des potagers. Je fais plus de cas d’une bonne pêche que de toutes les coquilles du monde. J’ai reçu votre Gazette italienne des fantaisies qui passent par la tête de nous autres écrivains en Europe. On écrit tant que je suis honteux d’écrire ; mais cela amuse. Quand faudra-t-il envoyer le payement de ce journal ? et à qui ? Je ne sais. Dieu merci, aucune nouvelle ; il me semble qu’il y a plus de quinze jours qu’on n’a massacré personne. C’est une époque singulière.

Mille respects, je vous prie, à M. et à Mme de Freudenreich,

Nous avons une assez bonne comédie aux portes de Genève. Cette ville n’a point encore de théâtre comme Amsterdam ; mais quand il y aura quelques millions de plus dans la ville, il faudra bien alors avoir du plaisir.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur. V.


3605. — DE M. MARMONTEL[1].
De Versailles, le 15 mai.

Monsieur, il y avait autrefois un jeune homme que vous aimiez comme votre enfant, et qui vous respectait comme son père en Apollon. Cet enfant eut la faiblesse et le malheur de s’éloigner de son père ; le ciel l’en punit. Il fit des Égyptus[2] qui tombèrent ; il fit d’autres sottises ; en un mot, rien ne lui prospéra.

Dans l’amertume de ses regrets, il dit : « J’irai vers mon père ; » et, pour se présenter avec la robe blanche, il alla se purifier chez les cacouacs. Parmi ce peuple vertueux et persécuté tout retentissait de votre nom. Ce fils, qui vous aimait toujours, mêla sa faible voix à ce concert de louanges, et s’écria comme tout le monde : « Mon père est la lumière de son siècle ; il est revêtu de force et de grâce ; il porte d’une main le pinceau de la Poésie, de l’autre

  1. Voltaire répondit à cette lettre le 19 mai.
  2. Tragédie de Marmontel, jouée le 5 février 1753, non imprimée.