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ANNÉE 1758.

Genève, je n’en ai pas eu signe de vie. Il faut lui pardonner, comme à Crispin, à cause de l’habitude[1]. Je ne sais quel parti il prendra, mais je sais bien celui qu’il aurait dû prendre. Jusqu’à présent il se borne à dire qu’il ne peut pas continuer sans moi. Il me semble qu’il devrait dire plus, mais ce sont ses affaires. Il ne sait pas tous les dégoûts et toutes les tracasseries qui l’attendent. Au reste, nous n’en sommes pas moins bons amis, et nous le sommes assez pour que je lui fasse les reproches qu’il mérite de son silence à votre égard. Vos papiers sont entre mes mains, et n’en sont pas sortis ; je vous les renverrai, si vous le jugez à propos ; mais vous pouvez être sûr que je ne les laisserai sortir de mes mains que par votre ordre exprès.

Vous me demandez si monsieur et madame une telle[2] ne nous protègent pas. Pauvre républicain que vous êtes ! si vous saviez de quel bureau partent quelques-unes des satires dont nous nous plaignons ! si vous saviez que l’auteur des Cacouacs est le même que celui de l’Observateur hollandais, cette insipide satire de nos ennemis et du roi de Prusse en particulier ; si vous saviez enfin que l’auteur des Affiches de province, où nous sommes à peu près traités de cartouchiens, est le même que celui de la Gazette de France, et reçoit l’ordre des mêmes ministres, vous sentiriez combien vous avez raison quand vous dites que vous voyez tout de trop loin. Qu’ils s’adressent aux faiseurs de Cacouacs[3], d’Observateur très-hollandais, de libelles, et de gazettes, pour faire l’Encyclopédie, s’ils veulent que cet ouvrage se continue.

Il faut que je vous divertisse un moment, au sujet de l’article Fornication. Quatre évêques se trouvèrent, il y a peu de jours, chez un prince de l’Église romaine, mon double confrère[4] ; l’article fut mis sur le bureau, lu et pesé avec attention ; on n’y trouva à redire que ces paroles : En faisant abstraction de la religion, de la probité même, etc., qui furent vivement défendues par un des assistants comme irrépréhensibles ; mais ce même assistant, homme de tête, comme vous allez voir, trouva un venin bien caché dans la fin de cet article, sur ce que j’y dis du peu de pouvoir de la religion pour servir de frein aux crimes. D’autre part, un vieux cacouac de mes amis m’a dit qu’il avait lu cet article sur le bruit qu’on en faisait, et qu’il le trouvait très-édifiant et très-favorable à la religion. Cela est un peu fort, mais à la bonne heure ; tout cela prouve que nos fanatiques sentent les coups sans savoir de quel côté ils viennent.

J’attends avec la plus grande impatience la Profession de foi ; le mot de votre ami Huber[5] est excellent. Je crois bien que nos sociniens honteux y auront été fort embarrassés ; et j’imagine que cette Profession de foi me

  1. Crispin rival de son maître, scène xxvi.
  2. L’abbé de Berniset et Mme de Pompadour.
  3. Voyez une note sur la lettre 3512.
  4. Le cardinal de Luynes, né en 1703, mort en 1788.
  5. Ce mot n’était pas de Huber, mais de Mme Cramer ; voyez les lettres 3545 et 3555.