Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3512

Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 352-353).

3512. — À M. THIERIOT.
Lausanne, 5 janvier.

Le cacouac[1] de Lausanne vous souhaite santé et prospérité. Je ne sais pas comment les supérieurs des jésuites, qui d’ordinaire réparent par la prudence la folie qu’ils ont faite de s’enrôler à quinze ans, peuvent souffrir de telles impertinences dans leurs bas officiers. Ils se font des ennemis irréconciliables ; ils se rendent l’horreur et le mépris de tous les honnêtes gens. Voilà de plaisants marauds, de croire soutenir la religion par des libelles diffamatoires, et de mériter le pilori en prêchant les bonnes mœurs !

Les prédicants de Genève seront plus sages, et je crois qu’ils se garderont bien de s’exposer au ridicule en attaquant l’Encyclopédie.

J’attends avec impatience la tragédie[2] de l’homme à talent qui a eu le bon esprit de quitter les jésuites, et le courage de donner à vos dames une belle pièce sans amour. J’espère qu’il n’en sera pas de cette pièce comme de tant d’autres, qui ont paru avec éclat pour être plongées ensuite dans un éternel oubli.

Il y a en effet, mon cher et ancien ami, de beaux articles dans le septième tome de l’Encyclopédie ; mais ce ne sont pas les miens. Ce ne sont pas non plus les déclamations vagues et plates qui se trouvent là en trop grand nombre, mais les articles vraiment utiles concernant les sciences et les arts. Ce sera un ouvrage immortel, et si les entrepreneurs avaient mieux choisi leurs ouvriers, ce serait un ouvrage parfait. Ils me donnent quelquefois des articles peu intéressants à faire ; mais tout m’est bon, et je me tiens trop heureux et trop honoré de mettre quelques cailloux à ce magnifique édifice. Je ne suis pourtant pas sans occupations dans ma douce retraite ; j’y passerai tout l’hiver. On n’a point une plus belle vue à Constantinople, et on n’y est pas si bien logé. J’irai ensuite revoir mes tulipes aux Délices. J’attends toujours le gros tonneau d’archives qu’on m’emballe de Pétersbourg ; mais il ne partira qu’après le dégel des Russes, c’est-à-dire au mois de mai. En attendant, j’ajoute à l’Histoire générale les chapitres de la religion mahométane, des possessions françaises et anglaises en Amérique, des anthropophages, des jésuites du Paraguai, des duels, des tournois, du commerce, du concile de Trente, et bien d’autres. C’est à M. de Richelieu et au roi de Prusse à terminer cette histoire. Je ne sais à présent où est mon disciple. Il disait, il y a quelque temps, à Mitchell, le ministre d’Angleterre, à propos de la cacata de la flotte d’Albion : « Eh bien ! que faites-vous à présent ? — Sire, nous laissons faire Dieu. — Ah ! je ne savais pas qu’il fût votre allié. — Sire, c’est le seul à qui nous ne payons pas de subsides. — C’est aussi le seul qui ne vous assiste pas, »

Voilà une plaisante conversation.

Vale, scribe, et ama.

  1. Ce nom désigne les philosophes. J.-N. Morcau, mort en 1803, avait publié Nouveau Mémoire pour servir à l’Histoire des Cacouacs, 1757, petit in-8o. Le Catéchisme et Décisions des cas de conscience, à l’usage des Cacouacs, etc., publié en 1758, est d’un abbé de Saint-Cyr. (B.)
  2. Iphigénie en Tauride, par Guimond de La Touche.