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cevait dans sa main et qu’elle portait dans la cheminée ; elle mangeait, dans une semaine, deux ou trois biscuits, et vivait à peu près comme un perroquet ; elle était sèche comme le bois d’un vieux violon, et vécut dans cet état près de quatre-vingts ans, sans presque souffrir.

Au reste, je présume que M.  Tronchin vous prescrira à peu près le même remède qu’à moi ; et, comme vous avez l’esprit plus tranquille que le mien, peut-être ce remède vous réussira ; mais ce ne sera qu’à la longue[1]. Le père putatif[2] du maréchal de Richelieu, qui était le plus sec et le plus constipé des ducs et pairs, s’avisa de prendre du lait à la casse ; cela avait l’air du bouillon de Proserpine ; il s’en trouva très-bien. Il mangeait du rôti à dîner, il prenait son lait à la casse à souper, et vécut ainsi jusqu’à quatre-vingt-quatre ans. Je vous en souhaite autant, ma chère nièce. Amusez-vous toujours à peindre de beaux corps tout nus, en attendant que le docteur Tronchin rétablisse et engraisse le vôtre.

Adieu, ma chère nièce ; tâchez de venir nous voir avec des tétons rebondis et un gros cul. Je vous embrasse tendrement, tout maigre que je suis. J’écris à Montigny[3] sur la mort de Mme  Ledosseur. Sa perte m’afflige, et fait voir qu’on meurt jeune avec de gros tétons. La vie n’est qu’un songe ; nous voudrions bien, votre sœur et moi, rêver avec vous.


3098. — À M.  LE COMTE DE TRESSAN[4].
À Monrion, 11 janvier.

Il me paraît monsieur, que Sa Majesté polonaise n’est pas le seul homme bienfaisant[5] en Lorraine, et que vous savez bien faire

  1. Cinq mois plus tard, Mme  de Fontaine alla aux Délices, ou Tronchin la ressuscita bientôt.
  2. Le maréchal de Richelieu, selon la règle générale, était fils de son père ; mais il paraît que ce père n’était pas Armand-Jean Vignerod, mort en mai 1715. Cette particularité était bien connue du maréchal lui-même ; et les lettres que Voltaire lui adressa le 10 octobre et le 3 décembre 1769 ne laissent aucun doute sur ce point. (Cl.)
  3. Mignot de Montigny, cousin germain de Mme  de Fontaine, mort en 1782.
  4. Tressan était lieutenant général depuis mai 1748. Quelques années après, il avait été appelé à la cour de Luneville pour y remplir les fonctions de grand-maréchal. Ce fut lui qui engagea principalement Stanislas à fonder l’Académie des sciences et belles-lettres de Nancy, en décembre 1750.
  5. Ce titre avait été donné à Stanislas, en décembre 1751, dans la première séance publique de l’Académie de Nancy, par Thibault, l’un de ses membres titulaires.