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Ce couplet a fait beaucoup de bruit : on ne voulait pas d’abord le passer à la police ; on croyait y voir une apologie du déisme. Vous connaissez, il y a longtemps, ces trois autres vers, où Zamti parle de la mort ; ils ont été fort applaudis :


Le coupable la craint, le malheureux l’appelle,
Le brave la défie, et marche au-devant d’elle ;
Le sage qui l’attend la reçoit sans regrets.


Toute la pièce, d’un bout à l’autre, a été applaudie à tout rompre ; et ce succès brillant a un peu déridé le front cynique de notre philosophe : il en a été moins mourant qu’à l’ordinaire, et tout paraît aller fort bien actuellement. Vous aurez dans deux mois une nouvelle édition des Œuvres, et dans trois ou quatre mois un cours complet d’histoire universelle. Que voudriez-vous davantage ? N’est-ce pas bien travailler ? Vous avez beau dire, vous faites moins aisément des plaidoyers et des requêtes que nous ne faisons de l’histoire et des vers.

Pourquoi n’êtes-vous pas venu nous voir ? Soixante lieues, ce n’est pas une bagatelle, me direz-vous ? Vous avez raison, ci on ne quitte pas comme ça une famille aimable. Vous auriez été bien surpris ; vous auriez trouvé notre philosophe tout changé : il est devenu libéral ; n’est-ce pas là un miracle ? C’est pourtant vrai. Quatre chevaux dans l’écurie, une très-bonne table, un bon cuisinier, beaucoup de laquais, des jolies femmes qui gouvernent la maison : voilà le train d’aujourd’hui. Cela est plus honnête et plus décent que lorsque, dans un grand malheur, vous voulûtes bien, par compassion, lui offrir votre bourse. Nonobstant tout cela, je n’en suis pas plus gras.

Je vous remercie de la bonté avec laquelle vous vous offrez à être utile au laquais de M. de Voltaire, dont je vous ai parlé. Mme Dupont m’a sans doute oublié ; mais je viendrai un jour la mater aux échecs, aussi bien que vous, et tous vos parents, et tout Colmar, et toute la province. Adieu, aimable Démosthène : si je voulais m’écouter, je vous écrirais jusqu’à demain, car je suis bavard. Votre amitié, vos bontés, voilà ce que je veux de vous, et je veux vous être tendrement attaché toute ma vie.



3053. — À M. LE MAJOR ROCH[1].
à nyon.
Aux Délices, 8 novembre 1755.

Vous auriez bien dû, mon cher major, me dire le nom de l’auteur[2]. Quel qu’il soit, je vous supplie de vouloir bien lui faire

  1. L’Amateur d’autographes, année 1872, page 95.
  2. Le professeur Sigismond Lerber (voyez la lettre 2479) avait envoyé au major Rocb, de Nyon, son poëme de la Vue d’Anet, avec prière de le soumettre à l’appréciation de Voltaire, mais en lui taisant le nom de l’auteur.