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d’injustices et d’impostures. J’aurais pu, en conservant la liberté d’esprit que donne la retraite, travailler à l’ouvrage[1] que vous aimez, et auquel vous voulez, bien donner quelque attention : mais cette liberté d’esprit est détruite par toutes les nouvelles affligeantes que je reçois. Je ne me sens pas le courage de travailler à une tragédie quand je succombe moi-même très-tragiquement.

Il faudrait, mon cher Catilina, me donner la sérénité de votre âme et celle de M. d’Argental, pour me remettre à l’ouvrage.

Soit que je sois en état d’achever mes Chinois et mes Tartares, soit que je sois forcé de les abandonner, je vous supplie de remercier pour moi M. Richelet[2] de ses offres obligeantes. Plus je suis sensible à son attention, plus je le prie de ne pas manquer de donner au public l’Eroe ginese, di Metastasio. La circonstance sera favorable au débit de son ouvrage, et ce ne sera pas ce qui fera tort au mien. Je n’ai de commun avec Metastasio que le titre. On ne se douterait pas que la scène soit, chez lui, à la Chine : elle peut être où l’on veut ; c’est une intrigue d’opéra ordinaire. Point de mœurs étrangères, point de caractères semblables aux miens ; un tout autre sujet et un tout autre pinceau. Son ouvrage peut valoir infiniment mieux que le mien, mais il n’y a aucun rapport. J’ai encore à vous prier, aimable ami, de dire à M. Sonning combien je le remercie d’avoir favorisé de ses grâces mon parterre et mon potager. Je lui épargne une lettre inutile ; mes remerciements ne peuvent mieux être présentés que par vous.


2917. — À M. DARGET[3].
Aux Délices, 23 mai 1755.

Je connais votre probité, mon ancien camarade en Vandalie, et je n’ai jamais douté de votre amitié ; j’apprends qu’on a lu devant vous, à Vincennes, tout le poëme de la Pucelle ; mais, par les fragments qui courent, je vois que tout est aussi défiguré que mon Histoire prétendue universelle. On a rempli les lacunes de toutes les sottises qui doivent faire rougir le lecteur et indigner l’auteur. Je m’adresse hardiment à vous pour prévenir, s’il est possible, les mauvais effets de cette abominable rapsodie qu’on ne manquerait pas de m’imputer. Il est dur que mon repos et ma

  1. Zulime.
  2. Richelet, ancien conseiller au Châtelet, a fait imprimer les tragédies-opéra de l’abbé Metastasio, traduites en français, 1751-56, douze volumes petit in-12.
  3. La réponse de Darget est la lettre 2925.