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ouvrages ne sont pas faits pour les gens qui ressemblent au nouvel automate de Paris. Il y a, il est vrai, si peu de gens qui pensent, et moins encore qui pensent juste, qu’il ne serait pas étonnant si quelque sombre misanthrope ne regrettait pas qu’on ait trouvé le moyen de diminuer l’espèce humaine à moins de frais[1].

Vous me ferez plaisir, monsieur, de m’informer si cette opération avec le sel se fait avec succès. Je serai d’ailleurs charmé de pouvoir vous faire plaisir, et de vous témoigner l’estime qui vous est due, monsieur.

Votre bien affectionné,

Charles-Théodore, électeur.

2734. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 2 mai.

Mon cher ange, mon ombre sera à Plombières à l’instant que vous y serez. Bénis soient les préjuges du genre humain, puisqu’ils vous amènent, avec Mme d’Argental, en Lorraine ! Venez boire, venez vous baigner. J’en ferai autant, et je vous apporterai peut-être de quoi vous amuser[2] dans les moments où il est ordonné de ne rien faire. Que je serai enchanté de vous revoir, mon cher et respectable ami ! N’allez pas vous aviser de vous bien porter ; n’allez pas changer d’avis. Croyez fermement que les eaux sont absolument nécessaires pour votre santé. Pour moi, je suis bien sûr qu’elles sont nécessaires à mon bonheur ; mais ce sera à condition, s’il vous plaît, que vous ne vous moquerez point des délices de la Suisse. Je suis bien aise de vous dire qu’à Lausanne il y a des coteaux méridionaux où l’on jouit d’un printemps presque perpétuel, et que c’est le climat de Provence. J’avoue qu’au nord il y a de belles montagnes de glace ; mais je ne compte plus tourner du côté du nord. Mon cher ange, le petit abbé a donc permuté son bénéfice ? L’avez-vous vu dans sa nouvelle abbaye ? Je vous prie de lui dire, si vous le voyez, combien je m’intéresse à sa santé. Il est vrai que je n’ai nulle opinion de son médecin[3] ; c’est un homme entêté de préjugés en isme, qui ne veut pas qu’on change une drachme à ses ordonnances, et qui est tout propre à tuer ses malades par le régime ridicule où il les met. Je crois, pour moi, qu’il faut changer d’air et de médecin.

  1. Voyez le deuxième alinéa de la lettre 2740.
  2. Voltaire avait sans doute fait un nouveau plan de l’Orphelin de la Chine, qu’il cite indirectement dans sa lettre du 19 août 1753, à d’Argental, et d’une manière plus précise dans celle du’26 juillet 1754, au même.
  3. Boyer, chargé de la feuille des bénéfices.