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rière à laquelle chaque homme est condamné. Lausanne m’a paru un pays fait pour un solitaire et pour un malade. J’avais eu dessein de m’y retirer il y a deux ans[1], malgré les bontés que me prodiguait alors le roi de Prusse. Le climat rigoureux de Berlin ne pouvait convenir à ma faible constitution. Messieurs du conseil de Berne me promirent leur bienveillance par la main de leur chancelier[2]. M. Polier de Bottens m’a écrit plusieurs lettres d’invitation. Celle que je reçois de vous augmente bien mon désir d’aller à Lausanne. Si M. Bousquet voulait donner une édition de mes véritables ouvrages, que, j’ose vous dire, on ne connaît pas, et qui ont toujours été imprimés d’une manière ridicule, ce serait pour moi un amusement dans la solitude que ma vieillesse, ma mauvaise santé, et mon goût, me prescrivent.

À l’égard des personnes dont vous me faites l’honneur de me parler, vous pouvez les assurer qu’elles sont très-mal informées. Je ne les verrais probablement pas si j’achetais une maison dans vos quartiers, ou, si je les voyais, ce ne serait que pour leur faire du bien.

À l’égard de M. Bousquet, je n’aurais d’autres conventions à prendre avec lui que de lui recommander de la netteté, de la propreté, et de l’exactitude, et de lui offrir ma hourse s’il en avait besoin. J’ai l’honneur d’être, à la vérité, gentilhomme de la chambre du roi de France ; mais je suis officier honoraire et sans fonctions, et je peux présumer que le roi mon maître me permettrait, en voyageant pour ma santé, de m’arrêter à Lausanne. Il faudrait attendre les beaux jours pour ce voyage. Ces jours, monsieur, seront beaucoup plus beaux pour moi si je peux vous témoigner de vive voix ma reconnaissance pour vos attentions.

Il y a longtemps que j’ai l’honneur de connaître M. de Montolieu[3] ; sa société ferait le charme de ma vie dans ma retraite. Permettez-moi de l’assurer ici de mon dévouement.

Agréez les assurances de ma sensibilité, et de la vive reconnaissance avec lesquelles j’ai l’honneur d’être, etc.


Voltaire.
  1. Ceci s’accorde avec le motif secret que dut avoir Voltaire, en écrivant la lettre du 25 novembre 1752, aux avoyers de Berne, ville dont les habitants du pays de Vaud étaient autrefois les sujets. (Cl.)
  2. Voyez la lettre 2523.
  3. M. de Montolieu, plusieurs fois cité dans la Correspondance, appartenait à une famille originaire du Languedoc. Ce fut lui qui, plus tard, épousa Isabelle