Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2015. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON[1].
À Lunéville, ce 11 septembre.

Hélas ! monsieur, en vous mandant l’heureux et singulier accouchement de Mme  du Châtelet, j’étais bien loin de soupçonner le moindre danger. Dans l’événement affreux qui me laisse sans consolation sur la terre, et qui devrait avoir fini ma vie misérable, je voudrais pouvoir au moins pleurer avec vous une femme qui vous aimait véritablement, qui sentait tout votre mérite, qui lui avait toujours rendu justice, et qui pensait comme vous. Ayez pitié du plus ancien de vos camarades, et du plus malheureux des hommes.

Je vais à Cirey avec M. du Châtelet : tout ce qui porte son nom m’est cher. Il est affreux d’aller voir la maison que nous avions tant embellie, et où je comptais mourir dans ses bras ; mais il le faut.


2016. — À M. L’ABBÉ DE VOISENON.
Auprès de Bar[2], ce 14 septembre.

Mon cher abbé, mon cher ami, que vous avais-je écrit ! quelle joie malheureuse, quelle suite funeste ! quelle complication de malheurs, qui rendraient encore mon état plus affreux s’il pouvait l’être ! Conservez-vous, vivez ; et, si je suis en vie, je viendrai bientôt verser dans votre sein des larmes qui ne tariront jamais.

Je n’abandonne pas M. du Châtelet, je vais à Cirey avec lui. Il faut y aller, il faut remplir ce cruel devoir. Je reverrai donc ce château que l’amitié avait embelli, et où j’espérais mourir dans les bras de votre amie ! Il faudra bien revenir à Paris ; je compte vous y voir. J’ai une répugnance horrible à être enterré à Paris ; je vous en dirai les raisons. Ah ! cher abbé, quelle perte !


2017. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 21 septembre.

Je ne sais, mon adorable ami, combien de jours nous resterons encore dans cette maison que l’amitié avait embellie, et qui

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Au château de Loisei, d’où est datée la lettre 1934.