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fait de moins indigne de vos soins. J’ai Sémiramis à cœur. Quand jouera-t-on cette Sémiramis ? quand viendra Catilina ? Vous ordonnerez de sa destinée. Je dois écrire à Mme  de Pompadour[1]. Il faut en être protégé, ou du moins souffert. Je lui rappellerai l’exemple de Madame[2], qui fit travailler Racine et Corneille à Bérènice.

Votre maudite grand’chambre vient de me faire perdre un procès de trente mille livres, malgré la loi précise ; et cela parce que le rapporteur (je ne sais quel est ce bonhomme ?) s’est imaginé que mon acquisition n’était pas sérieuse, et que je n’étais pas assez riche pour avoir fait un marché de trente mille livres.

Je ne suis pas en train de dire du bien des sénats.

Adieu, consolation de ma vie.


2009. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 4 septembre.

Je reçois votre Catilina, dont il m’est impossible de deviner la suite. Il n’est pas plus possible de juger d’une tragédie par un seul acte que d’un tableau par une seule figure. J’attends d’avoir tout vu pour vous dire ce que je pense du dessein, de la conduite, de la vraisemblance, du pathétique, et des passions. Il ne me convient pas d’exposer mes doutes à l’un des quarante juges de la langue française sur la partie de l’élocution ; si cependant mon confrère en Apollon et mon concitoyen, le comte Bar[3], m’avait envoyé cet acte, je vous demanderais si l’on peut dire :


Tyran par la parole, il faut finir ton règne[4] ;


si le sens ne donne pas lieu à l’équivoque. Je crois qu’on peut dire : Son éloquence l’a rendu le tyran de sa patrie, il faut finir son règne. Mais, selon la construction du vers, nous autres Allemands, qui peut-être n’entendons pas bien les finesses de la langue, nous comprenons que c’est par la parole qu’il faut finir son règne.

Je suis bien osé de vous communiquer mes remarques. Si cependant j’ai eu quelque scrupule sur ce vers-là, il ne m’a pas empêché de me livrer avec plaisir à l’admiration d’une infinité de beaux endroits où l’on reconnaît les traits de ce pinceau qui fit Brutus, la Mort de César, etc., etc.

Votre lettre[5] est charmante ; il n’y a que vous qui puissiez en écrire de

  1. Cette lettre est perdue ou n’a pas été écrite.
  2. Henriette d’Angleterre, belle-sœur de Louis XIV.
  3. Georges-Louis baron de Bar, homme de lettres, né en Westphalie vers 1701, mort à Barnau, dans l’évêché d’Osnabrück, le 6 août 1767. On a de lui des Épitres diverses sur des objets différents ; Londres, 1740, 2 volumes in-8o.
  4. Voyez plus bas, lettre 2032.
  5. Celle du 18 août précédent.