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dans le temps même qu’il affectait de m’en remercier avec effusion de cœur. Enfin son orgueil d’auteur piqué l’a porté à écrire une malheureuse brochure contre moi[1], en faveur de Maupertuis, qu’il n’aime point du tout. Il a senti, avec le temps, que cette brochure le couvrait de honte et de ridicule dans toutes les cours de l’Europe, et cela l’aigrit encore. Pour achever le galimatias qui règne dans toute cette affaire, il veut avoir l’air d’avoir fait un acte de justice, et de le couronner par un acte de clémence. Il n’y a aucun de ses sujets, tout Prussiens qu’ils sont, qui ne le désapprouve ; mais vous jugez bien que personne ne le lui dit. Il faut qu’il se dise tout à lui-même ; et ce qu’il se dit en secret, c’est que j’ai la volonté et le droit de laisser à la postérité sa condamnation par écrit. Pour le droit, je crois l’avoir, mais je n’ai d’autre volonté que de m’en aller, et d’achever dans la retraite le reste de ma carrière, entre les bras de l’amitié, et loin des griffes des rois qui font des vers et de la prose. Je lui ai mandé tout ce que j’ai sur le cœur ; je l’ai éclairci ; je lui ai dit tout. Je n’ai plus qu’à lui demander une seconde fois mon congé. Nous verrons s’il refusera à un moribond la permission d’aller prendre les eaux.

Tout le monde me dit qu’il me la refusera ; je le voudrais pour la rareté du fait. Il n’aura qu’à ajouter à l’Anti-Machiavel un chapitre sur le droit de retenir les étrangers par force, et le dédier à Busiris.

Quoi qu’on me dise, je ne le crois pas capable d’une si atroce injustice. Nous verrons. J’exige de vous et de Mme  Denis que vous brûliez tous deux les lettres que je vous écris par cet ordinaire, ou plutôt par cet extraordinaire. Adieu, mes chers anges.

  1. Voyez les lettres 2449 et 2535.