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contre un corps dont il était exclu, est bien aussi méchant que Rousseau ; mais il n’a pas, comme lui, de quoi racheter un peu ses vices.

Je connais de réputation Aaron Hill[1] ; c’est un digne Anglais : il nous pille, et il dit du mal de ceux qu’il vole.

Mme  du Châtelet a écrit au gouverneur[2] de Vincennes pour le prier d’adoucir, autant qu’il le pourra, la prison de Socrate-Diderot, Il est honteux que Diderot soit en prison, et que Roi ait une pension. Ces contrastes-là font saigner le cœur.

Adieu, monsieur ; vous m’avez mis en goût, ne m’abandonnez pas, je vous en prie ; écrivez quelquefois à votre zélé partisan, à votre ami, et ne faites pas plus de cérémonies que moi.


1991. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 12 août.

Ô anges ! j’oserai écrire pour ce brave meurtrier dont vous me parlez. Le service du roi de Prusse est un peu plus sévère que celui de nos partisans ; mais aussi il aura le plaisir d’appartenir à un grand homme.

Ah ! vraiment, il est bien question de ce pauvre ouvrage, de cette tragédie[3] dans le goût ordinaire ! je n’y veux pas assurément songer. Lisez, lisez seulement ce que je vous envoie ; vous allez être étonnés, et je le suis moi-même. Le 3 du présent mois, ne vous en déplaise, le diable s’empara de moi et me dit : Venge Cicéron et la France, lave la honte de ton pays. Il m’éclaira, il me fit imaginer l’épouse de Catilina, etc. Ce diable est un bon diable, mes anges ; vous ne feriez pas mieux. Il me fit travailler jour et nuit. J’en ai pensé mourir ; mais qu’importe ? En huit jours, oui, en huit jours et non en neuf, Catilina a été fait[4], et tel à peu près que les premières scènes que je vous envoie. Il est tout griffonné, et moi tout épuisé. Je vous l’enverrai, comme vous croyez bien, dès que j’y aurai mis la dernière main.

Vous n’y verrez point de Tullie amoureuse, point de Cicéron maquereau ; mais vous y verrez un tableau terrible de Rome, et



  1. Poëte dramatique, auteur d’une Mérope imitée de Voltaire, et d’une traduction de Zaïre sous le titre de Zara. Voyez l’avant-dernier alinéa de la lettre du 16 mars 1736, à Thieriot.
  2. François-Bernardin, marquis du Châtelet-Clémont, parent d’Émilie, et beau-frère du maréchal de Richelieu ; mort en septembre 1754.
  3. Amélie, ou le Duc de Foix.
  4. Rome sauvée, ou Catilina ; voyez tome V, page 199,