Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 578

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 51-53).
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578. — À M. THIERIOT.
16 mars.

Mon cher ami, vous avez bien gagné à mon silence, Émilie a entretenu la correspondance.

N’admirez-vous pas sa lumière,
Son style aisé, sublime, et net ;

Sa plume, ou solide, ou légère,
Traitant de science ou d’affaire,
D’un madrigal ou d’un sonnet ?
Elle écrit pourtant pour Voltaire.
Louis Quinze a-t-il, en effet,
Quelque semblable secrétaire,
Soit d’État, soit de cabinet ?

Ces petits vers une fois passés, vous saurez que vos lettres m’ont fait autant de plaisir que les siennes ont dû vous en faire. Si j’étais un Descartes, vous seriez mon Père Mersenne[1]. J’ai été accablé de maladies et d’occupations. Je m’étais donné tout cela, et je m’en suis tiré. Êtes-vous content de la dédicace du temple d’Alzire à la déesse de Cirey, et de la post-face à M. Thieriot, et du petit grain d’avertissement ? Eh ! vite, que Demoulin transcrive, et que La Serre approuve, et que Prault imprime : car je crois que Demoulin le surintendant a donné ses faveurs à Prault.

Homme faible ! vous laisserez-vous persuader qu’il faut que Gusman interrompe Alzire pour lui dire une quinauderie ? Et ne sentez-vous pas combien ce vers :

S’il en est, après tout, qui tiennent lieu d’amour[2],

est pris dans le caractère de la personne, qui ne doit avoir aucune adresse, et rien que de la vérité ?

Triumvirat très-aimable, il y a des cas où je suis votre dictateur.

· · · · · · · · · · · · · · · Une Espagnole eût promis davantage ;
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · Je n’ai point leurs mœurs.

( Acte IV, scène ii.)

est très-français. Cette phrase est de toutes les langues. Lisez la grammaire, à l’article des pronoms collectifs.

Compte à jamais au moins sur ma reconnaissance

est un vers faible et plat, s’il est seul, à peu près comme le seraient beaucoup de vers de Racine. Mais,

· · · · · · · · · · · · · · · Tantum series juncturaque pollet !
Tantum de medio sumptis accedit honoris !

(Hor., (de Arte poet., v. 242.)
que ces vers plats se rebondissent du voisinage des autres !

Compte à jamais au moins sur ma reconnaissance,
Sur la foi, sur les vœux qui sont en ma puissance,
Sur tous les sentiments du plus juste retour,
S’il en est, après tout, qui tiennent lieu d’amour.

Voilà qui devient coulant et harmonieux, par les traits consécutifs et par la figure ménagée jusqu’au bout de la phrase.

Bauche va réimprimer Zaïre, je la corrige. Prault réimprimera la Henriade[3] ; je la corrige aussi. Je corrige tout, hors moi. Savez-vous bien que je retouche Adélaïde, et que ce sera une de mes moins mauvaises filles ?

J’ai lu Jules César. Est-ce M. Algarotti qui a lui-même traduit son italien ? Apprenez que ce Vénitien-là a fait des dialogues sur la lumière où il y a malheureusement autant d’esprit que dans les Mondes, et beaucoup plus de choses utiles et curieuses.

J’ai lu la Zaïre anglaise : elle m’a enchanté plus qu’elle n’a flatté mon amour-propre. Comment ! des Anglais tendres, naturels ! without bombast ! without similes at the end of acts ! Quel est donc ce M. Hill[4] ? Quel est ce gentilhomme[5] qui a joué Orosmane sur le théâtre des comédiens ? Cet honneur fait aux arts ne sera-t-il pas consacré dans le Pour et Contre ? Autrefois ce Pour et Contre avait été contre Zaïre ; ah ! il doit faire amende honorable.

Rameau s’est marié avec Moncrif[6]. Suis-je au vieux sérail ? Samson est-il abandonné ? Non ; qu’il ne l’abandonne pas. Cette forme singulière d’opéra fera sa fortune et sa gloire.

  1. Voyez, ci-après, la lettre du 27 uovembc 1736.
  2. Alzire, acte IV, scène ii.
  3. Édition in-8o, de 1737, avec une préface de Linant.
  4. Traducteur de Zaïre ; voyez tome II, pages 549 et suiv.
  5. Il s’appelait Bond. Voyez tome II, page.536.
  6. On ne connaît point d’ouvrage de Moncrif mis en musique par Rameau.