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de vos pagodes, et goûter le plaisir délicieux de votre entretien. Je vous remercie tendrement de tous les éclaircissements que vous voulez bien me donner : ce sont presque les seuls qui me manquaient.

Vous savez que j’avais passé près d’un an à faire des extraits des lettres de tous les généraux et de beaucoup de ministres ; je doute qu’il y ait à présent un homme dans l’Europe aussi bien au fait que moi de l’histoire de la dernière guerre. C’est là qu’il est permis d’entrer dans les détails, parce qu’il s’agit d’une histoire particulière ; mais ces détails demandent un très-grand art. Il est difficile de conserver un événement particulier dans la foule de toutes ces révolutions qui bouleversent la terre. Tant de projets, tant de ligues, tant de guerres, tant de batailles se succèdent les unes aux autres, qu’au bout d’un siècle, ce qui paraissait dans son temps si grand, si important, si unique, fait place à des événements nouveaux qui occupent les hommes, et qui laissent les précédents dans l’oubli. Tout s’engloutit dans cette immensité ; tout devient enfin un point sur la carte, et les opérations de la guerre causent à la longue autant d’ennui qu’elles ont donné d’inquiétude quand la destinée d’un État dépendait d’elles.

Si je croyais pouvoir jeter quelque intérêt sur cet amas et sur cette complication de faits, je me vanterais d’être venu à bout du plus difficile de mes ouvrages ; mais ce qui me rend cette tâche plus agréable et plus aisée, c’est le plaisir de parler souvent de vous. Mon monument de papier ne vaudra pas le monument de marbre[1] que vous savez. Nous verrons cependant qui vous aura fait plus ressemblant du sculpteur ou de moi. Si M. le maréchal de Noailles était aussi complaisant et aussi laborieux que vous, s’il daignait achever ce qu’il entreprend d’abord avec vivacité, le Siècle de Louis XIV en vaudrait mieux.

Je ne sais si vous savez que ce Siècle était une suite d’une Histoire générale que j’ai composée depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. On m’a volé une partie de cet ouvrage, et tout ce qui regardait les arts. Louis XIV m’est resté ; mais une première édition n’est qu’un essai. Quoiqu’il y ait dix fois plus de choses utiles et intéressantes dans ces deux petits volumes que dans toutes les histoires immenses et ennuyeuses de Louis XIV, cependant je sais bien qu’il manque beaucoup de traits à ce tableau. J’ai fait des péchés d’omission et de commission[2]. Plusieurs personnes

  1. La statue du maréchal, placée dans le palais du sénat de Gênes.
  2. Voyez une note de la lettre 2360.