Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2360

Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 401-402).

2360. — À M. DE LA CONDAMINE.
À Potsdam, le 3 avril.

Grand merci, cher La Condamine,
Du beau présent de l’équateur[1],
Et de votre lettre badine
Jointe à la profonde doctrine
De votre esprit calculateur.
Eh bien ! vous avez vu l’Afrique,
Constantinople, l’Amérique ;
Tous vos pas ont été perdus.
Voulez-vous faire enfin fortune ?
Hélas ! il ne vous reste plus
Qu’à faire un voyage à la lune.
On dit qu’on trouve en son pourpris
Ce qu’on perd aux lieux où nous sommes ;
Les services rendus aux hommes,
Et le bien fait à son pays.

Votre paquet du 5 janvier m’a été rendu au saint temps de Pâques. Il aurait eu le temps de faire le voyage du Brésil. Je devais, mon cher arpenteur des astres, vous envoyer l’histoire terrestre de Louis XIV ; mais il y a trop de fautes de la part de l’éditeur[2], et de la mienne trop d’omissions, et trop de péchés de commission[3].

Je ne regarde cette esquisse que comme l’assemblage de quelques études dont je pourrai faire un tableau, avec le secours des remarques qu’on m’a envoyées ; et alors, je vous prierai de l’accepter et de me juger. C’est un petit monument que je tâche d’élever à la gloire de ma patrie ; mais il y a quelques pierres mal jointes qui pourraient me tomber sur le nez.

Ce n’est pas dans la lune que j’ai voyagé, avec Astolphe et saint Jean, pour trouver le fruit de mes peines : c’est dans le temple de la philosophie, de la gloire et du repos.

Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous aimerai toujours, fussé-je dans la lune.

  1. En 1751 La Condamine publia son Journal du voyage fait par ordre du roi à l’équateur ; le Supplément qu’il y joignit parut en 1752.
  2. Joseph du Fresne de Francheville, l’un des élèves du père Porée ; né en 1704, mort on 1781.
  3. Expression de Bayle (Préface de la première édition, treizième alinéa).