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Dans cette cohue indocile
Apollon et les doctes Sœurs
N’honoreront de leurs faveurs
Que Richelieu, vous, et Belle-Isle.

Vous êtes, mon cher Voltaire, comme les mauvais chrétiens ; vous renvoyez votre conversion d’un jour à l’autre. Après m’avoir donné des espérances pour l’été, vous me remettez à l’automne. Apparemment qu’Apollon, comme dieu de la médecine, vous ordonne de présider aux couches de Mme  du Châtelet. Le nom sacré de l’amitié m’impose silence, et je me contente de ce qu’on me promet.

Je corrige à présent une douzaine d’épîtres que j’ai faites, et quelques petites pièces, afin qu’à votre arrivée vous y trouviez un peu moins de fautes.

Vous pouvez voir par l’argument de mon poëme[1] quel en est le sujet. Le fond de l’histoire est vrai ; Darget, alors secrétaire de Valori, fut enlevé de nuit, par un partisan autrichien, dans une chambre voisine de celle où couchait son maître. La surprise de Franquini fut extrême quand il s’aperçut qu’il tenait le secrétaire au lieu de l’ambassadeur. Tout ce qui entre d’ailleurs dans ce poëme n’est que fiction ; vous le verrez ici, car il n’est pas fait pour être rendu public. Si j’avais le crayon de Raphaël et le pinceau de Rubens, j’essayerais mes forces en peignant les grandes actions des hommes, mais avec les talents de Callot on ne fait que des charges et des caricatures.

J’ai vu ici le héros de la France, ce Saxon, ce Turenne du siècle de Louis XV ; je me suis instruit par ses discours, non pas dans la langue française[2], mais dans l’art de la guerre. Ce maréchal pourrait être le professeur de tous les généraux de l’Europe. Il a vu nos spectacles ; il m’a dit, à cette occasion, que vous aviez donné une nouvelle comédie au théâtre, que Nanine avait eu beaucoup de succès. J’ai été étonné d’apprendre qu’il paraissait de vos ouvrages dont j’ignorais jusqu’au nom. Autrefois je les voyais en manuscrit, à présent j’apprends par d’autres ce qu’on en dit, et je ne les reçois qu’après que les libraires en ont fait une seconde édition.

Je vous sacrifie tous mes griefs, si vous venez ici ; sinon, craignez l’épigramme ; le hasard peut m’en fournir une bonne. Un poëte, quelque mauvais qu’il soit, est un animal qu’il faut ménager.

Adieu ; j’attends la chute des feuilles avec autant d’impatience qu’on attend, au printemps, le moment de les voir pousser.

Féderic.

1985. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 21 juillet 1749.

Mais, ô anges ! quel excès d’indifférence ! Je n’entends point parler de vous, je ne revois point ma Nanine. En vérité, madame,

  1. Le Palladion : voyez la lettre 1947.
  2. Le maréchal de Saxe, qui ne savait pas l’orthographe, avait fait preuve de bon sens en refusant une place à l’Académie française.