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2111. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
À Charlottenbourg, 14 août 1750.

Ah ! mes chers anges, il n’est plus question ni de Zulime ni d’Aurélie ; il faut céder à sa destinée. Vous connaissez mon cœur, vous savez quels déchirements il éprouve ; il y a longtemps que je combats[2] ; mais, quand je vous parlerai à Paris, vous m’approuverez en me plaignant. Je ne vous écris aucun détail : j’aurais trop de choses à vous dire ; mais je ne sais pas quand je vous les dirai. J’ignore encore si je passerai l’hiver ici, ou si je ferai un assez long voyage. Quelque chose qui arrive, je ne serai probablement à Paris qu’au mois de mars. Je vous écrirai toujours ; vous serez ma consolation dans une si longue absence.

Mes chers anges, votre amitié a fait le charme de ma vie ; elle me tiendra lieu de tout Paris et de toute la France, dans quelque pays que j’habite. Je n’ai ici ni Zulime ni Adélaïde, nous traiterons au mois de mars ces deux articles. Je suis plus occupé de la santé de Mme  d’Argental que de l’escapade de Zulime. Je vous conjure de m’en dire des nouvelles. Hélas ! mon cher et respectable ami, peut-être ne vous reverrai-je qu’en passant, et ne vous reverrai-je que si tard ! Quelle étrange destinée a toujours éloigné de vous un homme qui mettait son bonheur à vous voir tous les jours ! Vous répandez l’amertume sur tous les plaisirs que l’on me prodigue ici.

Je vous écrirai au premier jour. Nous sommes à présent un peu en l’air. Adieu, songez que l’homme n’est point maître de son sort : Dii nos homines tanquam pilas habent.

P. S. Mille tendres compliments à M. de Pont-de-Veyle, à M. de Choiseul, à l’intrépide coadjuteur, à tous vos amis.


2112. — À MADAME DENIS.
À Charlottenbourg, le 14 août.

Voici le fait, ma chère enfant. Le roi de Prusse me fait son chambellan, me donne un de ses ordres, vingt mille francs de

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Allusion à son établissement à la cour de Prusse. Voyez la lettre suivante.