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PORTRAIT

l’air était le ciel ! Ces inepties de gens qu’on appelle Pères de l’Église ne se répètent plus aujourd’hui.

On est enfin réduit à lui donner des ridicules[1], comme faisaient les citoyens frivoles d’Antioche. On lui reproche sa barbe mal peignée, et la manière dont il marchait. Mais, monsieur l’abbé de La Bletterie, vous ne l’avez pas vu marcher, et vous avez lu ses lettres et ses lois, monuments de ses vertus. Qu’importe qu’il eût la barbe sale et la démarche précipitée, pourvu que son cœur fût magnanime, et que tous ses pas tendissent à la vertu ?

Il reste aujourd’hui un fait important à examiner. On reproche à Julien d’avoir voulu faire mentir la prophétie de Jésus-Christ en rebâtissant le temple de Jérusalem. On dit qu’il sortit de terre des feux qui empêchèrent l’ouvrage. On dit que c’est un miracle, et que ce miracle ne convertit ni Julien, ni Alypius, intendant de cette entreprise, ni personne de sa cour : et là-dessus l’abbé de La Bletterie s’exprime ainsi : « Lui et les philosophes de sa cour mirent sans doute en œuvre ce qu’ils savaient de physique pour dérober à la Divinité un prodige si éclatant. La nature fut toujours la ressource des incrédules ; mais elle sert la religion si à propos qu’ils devraient au moins la soupçonner de collusion. »

Premièrement, il n’est pas vrai qu’il soit dit dans l’Évangile que jamais le temple juif ne serait rebâti. L’Évangile de Matthieu, écrit visiblement après la ruine de Jérusalem par Titus, prophétise, il est vrai[2], qu’il ne resterait pas pierre sur pierre de ce temple de l’iduméen Hérode ; mais aucun évangéliste ne dit qu’il ne sera jamais rebâti.[3] Il est très-faux qu’il n’en resta pas pierre sur pierre quand Titus le fit abattre. Il conserva tous les fondements, une muraille tout entière, et la tour Antonia.

Secondement, qu’importe à la Divinité qu’il y ait un temple juif, ou un magasin, ou une mosquée au même endroit où les Juifs tuaient des bœufs et des vaches ?

Troisièmement, on ne sait pas si c’est de l’enceinte des murs de la ville, ou de l’enceinte du temple, que partirent ces prétendus feux qui, selon quelques-uns, brûlaient les ouvriers. Mais on ne voit pas pourquoi Jésus aurait brûlé les ouvriers de l’empereur Julien, et qu’il ne brûla point ceux du calife Omar, qui, longtemps après, bâtit une mosquée sur les ruines du temple ; ni ceux

  1. Voyez Dictionnaire philosophique, au mot Apostat.
  2. xxiv, 2.
  3. La fin de cet alinéa est de 1769.